Un salaryman (サラリーマン) est un terme qui désigne un employé ou un cadre non-dirigeant d’une entreprise au Japon. La dénomination est un néologisme issu de la langue japonaise (wasei-eigo). Aujourd’hui, le mot salaryman porte davantage sur un style de vie masculin dans lequel on identifie un travail, des responsabilités et des collègues qui occupent la plupart du temps et des centres d’intérêt.
On connaît les Japonais pour être de grands travailleurs. La plupart sont dotés d’un respect rigoureux de la hiérarchie, et n’hésitent pas à se plier à de longues journées de travail à rallonge. Les heures supplémentaires se comptent par dizaines dans une même semaine et il faut s’affairer au succès du collectif. Les salarymen représentent sans aucun doute l’engrenage le plus distinctif et important d’une société nipponne.
Traditionnellement, on dit des salarymen qu’ils sont des employés ou des cadres non dirigeants ayant pris la décision de vouer leur vie à la réussite de leur entreprise. Attention, le terme « cadre » est bien plus accessible au Japon que dans nos pays européens (il suffit souvent d’avoir fait quatre années d’études, soit le premier cycle universitaire).
Histoire
Commençons par évoquer l’apparition et les origines du salarymen japonais. Le mot se prononce sarariman au pays du soleil levant. Il est souvent considéré comme un wasei-eigo, c’est-à-dire une construction japonaise à partir de mots d’emprunt anglais. Ici, il semble plutôt être un emprunt direct à l’expression anglaise désignant le salarié masculin. Si tel est le cas, cela signifie que la conception de ce mot est antérieure au terme japonais de près d’un siècle.
Quoi qu’il en soit, la formule sarariman est largement utilisée en 1930, avant même que l’essor du gouvernement et la militarisation n’entraînent la croissance de l’emploi des cols blancs (les travailleurs de bureau, en particulier les cadres). À cette époque, le terme ne concerne pas tous les travailleurs qui reçoivent un salaire fixe. Il y a déjà une portée de la grande bureaucratie d’une entreprise commerciale et/ou d’un bureau gouvernemental. Sont donc concernés les bureaucrates et les grandes entreprises.
Au contraire, les employés de la nuit ou de l’industrie du divertissement ne sont pas touchés, même si leurs revenus peuvent être basés sur des salaires fixes. Concernant les médecins, les avocats, les comptables, les ingénieurs, les politiciens, les indépendants ou encore les artistes, ils sont exclus de cette appellation.
Mais alors, comment pouvons-nous définir un salaryman typique au Japon ? L’une des définitions que nous retrouvons souvent dans la bouche des Japonais est « un col blanc qui gagne en général son salaire en fonction des capacités individuelles plutôt que de l’ancienneté« . Les salariés nippons sont connus à travers le monde entier pour travailler durant de nombreuses heures. Parfois, cela va au-delà de 80 heures par semaine. Ainsi, en raison de l’horaire de travail chargé, le salarié n’a tout simplement pas le temps d’élever une famille. Son travail se traduit en un engagement à vie, et il est intimement lié à son entreprise.
Cette relation singulière entre un employé et sa société n’est pas anodine. Elle a même été cultivée durant de longues décennies par les compagnies. En effet, les firmes embauchaient généralement les salariés dès la sortie du lycée, et leur dispensaient une formation méticuleuse et exhaustive. En échange, on s’attendait à ce que les employés demeurent dans l’entreprise jusqu’à la retraite, à peu près au moment où ils atteignent l’âge de 55 à 60 ans.
Il y a donc une forme de démonstration de loyauté qui doit se traduire dans les faits sur plusieurs décennies. Les entreprises garantissaient de ne pas licencier les employés, à moins que ce ne soit dans des circonstances catastrophiques ou extraordinaires. En clair, hormis une tragédie économique ou une faute grave dont on était responsable, il y avait de fortes chances pour que l’on conserve un emploi à vie.
Également, il y a une croyance populaire au Japon selon laquelle « le temps passé sur le lieu de travail est en corrélation directe avec l’efficacité perçue » de l’employé. On se positionne ainsi dans un mode de vie intense, concentré essentiellement sur l’activité. C’est bien beau, mais écouler plus de 80 heures par semaine sur le lieu de son entreprise n’est pas dépourvu de répercussions nocives sur la santé de l’individu.
Au fil des années, on a vite constaté l’apparition de complications de santé mentale ou cardiaque, en particulier des insuffisances. Ce phénomène est nommé karoshi (la mort par excès de travail). Les salarymen sont parmi les plus affectés. La culture conservatrice des entreprises nipponnes attend aussi des jeunes hommes qu’ils s’intègrent parfaitement dans une société, quitte à multiplier les heures et à œuvrer plus que n’importe qui. Celles et ceux qui choisissent de ne pas suivre ce chemin, par exemple en partant à des horaires conventionnels, sont vite estimés comme des individus moins respectables. Le suicide est aussi une problématique largement d’actualité, surtout au début des années 2000.
Karoshi, le surmenage nippon
Le karoshi est un phénomène de surmenage qui entraîne la mort. Celui-ci est intimement lié aux salarymen, puisque ce sont les plus exposés. Le plus souvent, il s’agit d’une pression excessive sur les employés qui causent un surmenage, une fatigue épouvantable ou une insuffisance cardiaque. Il faut dire qu’un travailleur caractéristique au Japon éprouve une tension intense en permanence. Il lui est exigé de bien remplir d’innombrables devoirs et responsabilités afin de subvenir aux besoins de sa famille.
Ce phénomène a été diagnostiqué pour la première fois comme une « maladie circulatoire provoquée par le stress » à la fin des années 1970. L’économie japonaise avait connu sa première grande contraction après la crise pétrolière de 1973. Cela a fragilisé la reconstruction d’après-guerre de l’industrie nipponne. Depuis, le nombre de décès dus au surmenage en entreprise a fortement augmenté. Il apparaît que les sociétés les plus majeures et les plus prestigieuses sont les plus impactées.
Les exemples ne manquent pas, mais celui de Kenichi Uchino est l’un des plus marquants aux yeux des Japonais. Il s’agissait d’un responsable du contrôle qualité reconnu et respecté chez Toyota, l’un des fleurons de l’industrie japonaise. Il n’avait que 30 ans. L’homme s’est soudainement effondré (il en est décédé) après avoir travaillé plus de 80 heures supplémentaires non rémunérées pendant six mois d’affilée. En réaction, l’entreprise Toyota a promis qu’elle commencerait à surveiller plus sérieusement la santé de ses travailleurs et à payer toutes les heures supplémentaires.
Le gouvernement nippon essaie de lutter contre ce phénomène qui gangrène le milieu du travail. Un article du Washington Post explique que les autorités ont tenté à de multiples reprises de fixer une limite au nombre d’heures de travail. Le problème remonte aux années 1970. En 2014 et pour la première fois, après plus de 30 ans d’activisme, le parlement japonais a adopté une loi afin de promouvoir des contre-mesures contre le karoshi. Malheureusement, en pratique, cela n’a pas eu beaucoup de répercussions.
Bien des citoyens japonais souhaitent que le Premier ministre aille plus loin. Les activistes plaident pour l’introduction de plusieurs législations et des punitions pour les entreprises qui transgressent les lois sur les heures de travail. Certaines familles des salariés qui meurent du karoshi n’hésitent plus à saisir la justice et on recense plus de 2000 demandes pour un changement. Toutefois, les observateurs font savoir que le nombre de morts pourrait être beaucoup plus élevé que les plus récentes statistiques officielles. Sur environ 30 000 suicides annuels (certaines années), il y en aurait jusqu’à 8000 qui seraient intimement liés aux conditions de travail. On peut aussi chiffrer le nombre à 10 000 décès de karoshi non-suicidaires par an.
Un mariage avec l'entreprise
Comme nous l’avons évoqué dans les paragraphes ci-dessus, le salaryman est un homme profondément dévoué à la réussite de son entreprise. Il y injecte la plupart de son temps, et ne lésine pas sur les heures supplémentaires. On compte plusieurs millions de salarymen au Japon, avec une moyenne de 12 heures par jour. Un article du Guardian indique que près de 22 % des travailleurs japonais pointent plus de 49 heures par semaine. Une telle ténacité rigoureuse et impitoyable peut-être admirable pour le commun des mortels, mais il s’agit avant tout d’un stéréotype culturel qui s’est transformé en un obstacle au fil des années.
Les récents gouvernements japonais ont entrepris toute une série de mesures pour exhorter les travailleurs à prendre davantage de jours de vacances. Mais rien n’y fait. Les salarymen ne prennent presque jamais de congés, car ils ressentent surtout de la culpabilité envers leurs collègues et leur entreprise. Ils ont l’impression d’abandonner leurs tâches non terminées aux autres membres de l’équipe. En conséquence, ils se privent de vacances bien méritées pour ne pas déranger les autres.
Heureusement, les habitudes évoluent à mesure que le Japon s’ouvre au monde. Les jeunes générations voyagent plus, en particulier en échange universitaire. À leur retour, on observe un effort de modification de l’archétype de l’entreprise et du salarié au Japon. Le modèle de l’emploi à vie n’est plus aussi généralisé qu’auparavant. Cela tient surtout des profonds bouleversements économiques qui interviennent régulièrement sur la société japonaise. La flexibilité pointe le bout de son nez dans beaucoup de nouvelles structures, et notamment les start-ups. Plus que jamais, le dispositif de dévouement à l’entreprise est remis en cause par les plus jeunes travailleurs.
Peut-être vous demandez-vous comment de jeunes salariés peuvent assumer une telle charge de travail, plus de 80 heures par semaine dans certains cas ? Les Japonais ne ratent jamais l’occasion d’inventer des systèmes tous plus tirés par les cheveux les uns que les autres. Certaines entreprises ont lourdement investi dans des aires de détente afin de permettre à leurs employés de se reposer directement sur leur lieu de travail. Peut-être connaissez-vous les hôtels capsules ? De plus en plus de boîtes y dédient une ou plusieurs salles pour en avoir à proximité. Cela offre d’installer plusieurs lits dans un espace limité.
Il existe même un art de la microsieste au Japon, le inemuri. Il est bien vu de dormir sur son lieu d’activité au pays du soleil levant. Lorsqu’un supérieur passe dans le coin et repère l’un de ses employés en train de faire une rapide sieste sur son bureau, il ne va pas songer que ce dernier se permet de gagner du temps sur son lieu de travail. Au contraire, il va estimer que l’individu en question a travaillé dur, tellement que la fatigue l’a conquis. En français, on peut traduire cette expression littéralement par le fait de « dormir alors que l’on est présent« . Bref, c’est une sorte de récompense personnelle que l’on s’accorde en échange d’un dévouement assidu au travail.
L’art de la sieste se propage un peu partout au Japon, et pas uniquement sur le lieu de travail. Il suffit de prendre les transports en commun dans la région de Tokyo pour se rendre compte que les salarymen ne manquent pas une occasion de se reposer. La société nipponne en est tout à fait consciente et le calme règne toujours dans les transports. Il est très irrespectueux de faire du vacarme dans un métro, car la plupart des personnes s’assoupissent par réflexe.
L'alcool comme évasion
Les salarymen japonais sont souvent de grands buveurs d’alcool. Ce n’est malheureusement pas un cliché, même si c’est un rapport cultivé par l’écosystème d’entreprise. Il n’est pas exceptionnel d’organiser des soirées entre collègues afin d’apprendre à mieux se connaître, en relâchant un peu la pression avec ses responsables. Cette pratique se nomme le nomikai, que d’aucuns considèrent comme une sociabilité nichée au fond d’un verre d’alcool. En effet, les deux grands principes essentiels de la communication nipponne sont le tatemae (attitude sociale) et le honne (ce qu’une personne pense et ressent à l’intérieur, mais n’exprime pas forcément). L’ivresse justifie de passer outre cette attitude sociale et de se livrer, le temps d’une soirée.
Malheureusement, l’exposition régulière à l’alcool n’est pas sans conséquence dans les mœurs et les habitudes des travailleurs. Force est de constater que bon nombre de salariés n’omettent pas de passer à l’izakaya du coin (petit bar de rue) pour engloutir plusieurs pintes de bière ou verres de saké avant de retourner à la maison.
Cette situation problématique de santé et parfois d’addiction tire sans doute ses racines dans le grand nombre d’heures de travail et le manque de sommeil dont sont victimes les salarymen. Les responsabilités, les délais et les échéances préoccupent n’importe quel employé de bureau. Le stress est l’un des moteurs de progression des entreprises, bien qu’il soit particulièrement néfaste sur la santé mentale des travailleurs.
On dit des Japonais qu’ils ne supportent pas très bien l’alcool. En réalité, cela dépend assurément des individus. Mais de toute évidence, la société s’en fiche. Boire jusqu’à l’ivresse est une pratique plutôt banale au Japon. On retrouve très souvent des salariés éméchés en train de sommeiller dans les rames de métro au terminus. Du moment que l’on ne pratique pas une conduite déplacée envers les autres personnes, cela reste dans le domaine de l’acceptable. Les employés de bureau sont même compris par certaines personnes plus âgées qui considèrent que l’alcool est une solution de refuge pour échapper au stress de l’entreprise.
Autres divertissements
Il serait injuste de réduire les occupations extérieures des salarymen à la dégustation massive d’alcool. En fait, on pourrait presque réaliser un article à part entière sur les passe-temps des salarymen, qu’ils partagent ou non avec leurs collègues. Cela a largement évolué en fonction des contextes économiques. La consommation sociale n’a pas diminué. Cependant, son image a changé au fil du temps.
Le miracle économique japonais, qui s’est produit pendant une bonne partie de la deuxième moitié du XXe siècle, est synonyme d’une attitude débridée de la part des jeunes cadres qui bénéficiaient de beaucoup d’argent. On assistait alors à des fêtes de masse, des rassemblements avec des célébrations impressionnantes. Après l’effondrement de la bulle économique dans les années 1990, la consommation a radicalement changé. Une attitude plus conservatrice a été adoptée de la part des salariés japonais, qui se sont refocalisés sur la famille. On préférait se retrouver entre collègues et familles le week-end pour se balader dans les parcs, visiter des monuments emblématiques ou aller observer des parcs floraux.
Le mah-jong est un jeu qui a longtemps été très populaire parmi la génération de salariés des années 1960 et 1970. Le jeu s’est rapidement répandu dans les cercles d’entreprises à partir de plusieurs groupes de lycéens et d’universités qui l’avaient adopté quelques années auparavant. On dénombrait des milliers de joueurs passionnés qui se livraient des batailles stratégiques pendant les heures de pause ou même pendant le travail. La pratique décroît petit à petit dans les années 1970 et elle disparaît presque entièrement dans les années 1980. Il était devenu usuel de ne montrer aucun intérêt pour ce type d’activité.
Puis, peu à peu, à partir des années 1980 et 1990, le golf est devenu très en vogue. Les laissez-passer pour les clubs de golf ont incarné des méthodes utiles pour s’attirer les faveurs des dirigeants d’entreprise. Les salariés de niveau intermédiaire ont été contraints, par centaines, à se lancer dans le golf pour assister à des événements avec leurs supérieurs. Il était impoli de décliner une telle invitation. Mais avec l’éclatement de la bulle économique, de nombreux golfs ont fermé. Le rituel de jouer avec ses responsables s’est fait de plus en plus rare.
Toutefois, cette pratique n’a pas entièrement disparu. À une certaine échelle, nous avons vu Shinzo Abe inviter Donald Trump, alors respectivement Premier ministre du Japon et président des États-Unis d’Amérique, à faire une partie ensemble. Aujourd’hui, le golf est encore admis comme un passe-temps (certes coûteux) pour les salariés.
Un rythme de vie bien réglé
Envie de connaître une journée typique dans la vie d’un salarié japonais ? C’est simple, puisque le même modèle s’applique à des millions de personnes chaque jour, et cela ne fluctue que très faiblement en fonction des individus. Voici un exemple de journée parfaitement réglée :
- Réveil à 6h30 pour un lever à 7h.
- Départ du domicile à 7h30.
- Arrivée au bureau à 8h50.
- Début de la journée de travail avec une brève réunion à 9h.
- Déjeuner à 12h (avec un bento, dans un restaurant ou dans la cafétéria de l’entreprise).
- Reprise du travail à 13h.
- Les travailleurs à temps partiel rentrent chez eux à 17h. Début des heures supplémentaires pour les salarymen classiques.
- On sort se « sociabiliser » entre 19h et 20h30 avec les collègues, souvent à l’izakaya.
- On prend les transports en commun pour faire le trajet domicile-travail à 21h.
- On rentre chez soi vers 22 heures et on se couche rapidement.
Voilà à peu près l’emploi du temps d’un salaryman classique au Japon. Vous devez réitérer cela 5 à 6 jours par semaine (les heures sont un peu allégées le samedi). Le peu de temps libre subsistant est dédié à des activités souvent attachées à l’entreprise ou avec des clients comme du golf, des promenades ou des découvertes culturelles.
Représentation et image sociale
Le salaryman est aujourd’hui un concept et une idée qui s’applique à la plupart des travailleurs japonais. Les représentations ne manquent pas, en particulier dans les médias nippons, mais aussi occidentaux. Il existe plusieurs films et séries télévisées au pays du soleil levant qui mettent en avant la figure du salaryman : Mr. Salaryman, Japanese Salaryman NEO ou encore History of a Salaryman. L’employé est souvent considéré comme un soldat docile et inféodé à une entreprise. Il manque de personnalité et d’individualisme, surtout en dehors du cercle professionnel. Il fait donc l’objet de moqueries, voire de mépris. Il faut dire que depuis la fin des années 1990, le statut de salaryman est devenu beaucoup moins désirable pour la jeune génération.
Traditionnellement, les classes moyennes et supérieures s’attendent à ce que leurs enfants deviennent plus tard des salarymen, avant de grimper sans doute les échelons et de prendre encore plus de responsabilités. La start-up est un modèle d’activité qui peine à se développer au Japon. Elle est d’ordinaire associée à un risque d’échec trop élevé. Les Japonais cherchent la réussite du groupe et pour de nombreux jeunes hommes, accepter autre chose que de devenir un salarié est considéré comme un revers. Cela est valable pour lui, mais surtout pour ses parents, dont l’influence est en général substantielle.
Pour la grande majorité des Nippons, la vie tourne autour du travail. Les activités qu’il accomplit en dehors impliquent presque toujours des collaborateurs. Cela est valable pour la dégustation d’un verre au bar, mais aussi pour une balade entre familles. On observe donc une proximité hallucinante entre le salaryman et son travail. Cela a donné lieu à toute une batterie de surnoms ou de noms désobligeants pour les salariés nippons : shachiku (社畜, un bétail d’entreprise), kaisha no inu (会社の犬, un chien de l’entreprise) ou le kigyou senshi (企業戦士, soldat corporatif). Bref, ces dénominations illustrent bien l’asservissement perçu d’un employé pour son entreprise et l’absence ridicule d’individualisme.
Envie d’apercevoir des salarymen ? Ce n’est pas bien difficile ! Il suffit de se rendre dans les grandes gares nipponnes, en particulier de Tokyo. Celle de Shinjuku est un véritable défilé de salarymen. Rendez-vous-y aux heures de pointe (8 heures du matin, 9 heures du matin, 17 heures, 20 heures du soir) et vous constaterez une marée d’hommes en costume-cravate qui se fraient un chemin parmi les rames. Ils sont toujours accompagnés de leur accoutrement emblématique : une mallette, un badge d’identification de l’entreprise autour du cou, ou encore d’un parapluie.
Avantages et atouts
Malgré ce que nous avons avancé ci-dessus, bon nombre de Japonais affectionnent encore le système du salaryman. La société y attache une batterie d’avantages qui suffisent à justifier un tel investissement de son temps personnel.
D’abord, le fait de devenir un salarié n’est pas seulement une tradition au Japon, mais surtout un vrai dispositif de réussite. C’est un symbole du statut de la classe moyenne et cela s’accompagne d’un grand prestige, à la fois pour l’individu, mais aussi pour sa famille. Celles et ceux qui décident de ne pas se conformer sont considérés, trop souvent, comme des échecs.
Ensuite, être salaryman, c’est avoir la quasi-certitude de décrocher une carrière longue et des revenus stables. Encore aujourd’hui, un salarié est généralement embauché dès la sortie du lycée ou de l’université. Il va rester de longues années dans l’entreprise jusqu’à sa retraite, dans le cas d’un emploi à vie. Cela offre à chacun la perception d’une stabilité à long terme et la possibilité de gravir peu à peu les échelons pour prendre en importance au sein de sa société.
Les congés de vacances sont aussi, contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’un des arguments de devenir salaryman. Le Japon possède 16 jours fériés nationaux, ce qui est le plus grand nombre de tous les pays du G20. Ensuite, très peu de salariés nippons profitent de leurs vacances dans le but de montrer leur dévouement à leur travail. Mais l’ex-Premier ministre Shinzo Abe a présenté une loi qui contraint légalement les employés à prendre cinq jours de congés payés chaque année. Cela est peu, surtout par rapport à la France. Cependant, c’est toujours plus que la grande majorité des entrepreneurs de l’archipel…
Les salarymen bénéficient de primes régulières. Au lieu d’un énorme salaire que l’on décroche chaque mois pour des dizaines d’heures de travail, on profite d’un système de primes qui sont versées deux fois par an, en été et en hiver. Elles sont souvent à la hauteur, puisqu’elles représentent plusieurs mois de salaire et incarnent un revenu conséquent pour les familles des travailleurs. Il faut ajouter à cela l’ensemble des petits avantages (le CA, etc.) des plus grosses sociétés nipponnes.
Dernier grand avantage de la culture du salariat au Japon, l’éthique de travail solide. Le surmenage n’affecte heureusement pas toutes les entreprises, et certaines ont enclenché un processus d’équilibre entre la vie personnelle et la vie privée. Pour beaucoup, la discipline, le respect de la hiérarchie et le dévouement à un poste à responsabilité sont des vertus recherchées. Le fait de subsister dans la même entreprise durant toute une carrière séduit une partie de la population qui y anticipe la construction certaine d’une équipe soudée et d’une « famille corporative ».
Points négatifs
Les avantages ne font pas tout. Être salaryman, c’est aussi prendre le risque de s’engouffrer dans un univers stressant et loin d’être paradisiaque. Voici quelques préoccupations de la culture du salariat japonais.
Le salaryman japonais travaille beaucoup. Vraiment beaucoup. Les sociétés européennes nous habituent à une routine « du 9 à 17 (heures) ». Cela n’est pas valable au Japon. Selon une étude de la chaîne américaine CNN, il faut plutôt tabler sur une moyenne de 13 heures par jour et six jours par semaine. Cela peut être la norme, quel que soit le secteur. Les employés ne quittent pas le bureau tant que leurs supérieurs ne sont pas partis. Il faut aussi honorer celles et ceux qui œuvrent dans l’entreprise depuis plus longtemps. Bref, ce sont autant de règlements qui peuvent se révéler contraignants au quotidien.
Une productivité mal récompensée. Le salaire d’un salarié au Japon est basé sur l’ancienneté et non sur la performance réelle. Pourtant, il faut faire ses preuves lorsque l’on entre dans une entreprise, et on enchaîne les heures supplémentaires. Le système vise à fidéliser les employés, au détriment du contrôle sur les revenus. Il n’y a donc pas, au Japon, de système de « travailler plus pour gagner plus ». Conscients de cela, les salariés sont bien moins productifs que leurs équivalents occidentaux, puisqu’avec l’ajout de longues heures, la plupart des travailleurs préfèrent répartir les tâches tout au long de la journée et prendre leur temps.
La mauvaise santé est une des conséquences redoutées par la plupart des jeunes qui se lancent sur le marché du travail. On tâche d’éviter ce mauvais équilibre entre le travail et la vie privée qui est trop souvent pointée du doigt dans les faits divers. Le mode de vie extrême d’un salarié peut causer une pression intense issue du stress, ce qui peut parfois se traduire en une dépression, le suicide ou la mort par surmenage (karoshi).
Le fait de se dévouer à son entreprise provoque un mauvais équilibre entre le travail et la vie personnelle. Il faut dire que le groupe dans lequel vous vous investissez doit toujours passer en premier. Vous devez donc consentir à lui offrir la plupart de votre temps libre qui sera sacrifié sous la forme d’heures supplémentaires au bureau. Mais il faut aussi englober les activités de loisirs que l’on réalise après le travail, entre collègues. Les employés sont constamment plongés dans un milieu professionnel, ils sont souvent épuisés et surmenés. Il en résulte que ces hommes n’ont que peu de temps à consacrer à leur famille.
Enfin, la conséquence directe est une dépendance à l’égard de l’employeur. Certes, un salaryman peut se vanter d’avoir un travail à vie (et encore, c’est de moins en moins vrai). Mais en échange, il ne peut pas faire jouer la concurrence entre plusieurs entreprises qui le convoitent. Il est entièrement aux mains de son employeur. Il y a donc peu de possibilités de promotion, et ses tentatives peuvent tout à fait être bloquées. Le plus souvent, il faut attendre qu’un supérieur prenne sa retraite afin de gravir les échelons.
La majorité au Japon : un âge adulte fixé à 18 ans ?