La ponctualité insolente des trains japonais

Shinkansen

Quand on parle du Japon, les clichés extravagants ne sont jamais très loin. On entend çà et là que les geishas sont en fait des prostituées de luxe, ou encore que le Japon est un pays qui est encore aujourd’hui 30 ans dans le futur au niveau technologique. Nous avons déjà traité ces sujets dans leurs articles respectifs, mais maintenant, nous allons nous interroger sur le thème suivant : est-ce vrai que les trains japonais ne sont jamais en retard ? C’est un aspect qui est extrêmement populaire au Japon, surtout quand on le compare au modèle francophone.

La première chose à noter, c’est que les chemins de fer japonais existent depuis plus de 140 ans. Le pays du soleil levant a toujours été confronté à tout un tas de catastrophes naturelles, sans compter les affres de la guerre. Il y a donc un savoir-faire très impressionnant qui a été accumulé et perfectionné depuis un siècle et demi. Cela concerne à la fois le bon fonctionnement des chemins de fer, mais également les véhicules qui circulent et même les passagers qui embarquent. Oui, le Japon est aujourd’hui l’un des (si ce n’est le) meilleurs pays quand on aborde la question du train sous plusieurs aspects : les trains sont à l’heure, l’intérieur est propre, vous y passez un bon moment et le service client est au top. Cela dit, étudions la question un peu plus en profondeur…

Le Shinkansen, le train à grande vitesse japonais

Shinkansen

Le train à grande vitesse a été inauguré le 22 septembre 1980 par François Mitterrand en France. C’est la date du premier TGV français. Au Japon, cela se passait bien plus tôt, puisque le premier a commencé à circuler en 1964. Le TGV japonais se nomme Shinkansen. Depuis ses débuts, le Shinkansen profite de la sécurité et de la fiabilité des rails nippons. Il est depuis réputé pour sa ponctualité et nous allons voir pourquoi en quelques chiffres. Rentrons dans le vif du sujet : le retard moyen des trains est inférieur à une minute chaque année. C’est une statistique exceptionnelle qui résulte d’efforts surhumains pour maintenir un tel standard.

D’abord, le train à grande vitesse japonais fonctionne sur des lignes dédiées. Il n’y a donc qu’une seule technologie et des missions identiques répétées. Cela limite les risques, contrairement à ce qui se pratique en Europe, où on trouve un mélange de tous les types de trafic sur une seule ligne existante. Continuons avec les statistiques et notamment sur le bilan de santé du train à grande vitesse nippon : il est en service depuis maintenant plus de 20 000 jours et aucun passager n’a été blessé de son fait. La sécurité de l’exploitation est d’ailleurs l’argument numéro un du TGV auprès du public japonais. On trouve un nombre impressionnant d’opérateurs ferroviaires, d’ingénieurs, et d’entreprises qui fournissent des équipements de haute technologie. Pour les compagnies exploitantes, c’est une contrainte naturelle : le fait de fournir un service rapide et ponctuel permet non seulement de vendre plus de sièges, mais attire aussi d’autres clients vers des services annexes (restauration, hôtellerie, salle de jeux). Eh oui, le business est tentaculaire, et le billet de train est un point d’entrée comme un autre pour des millions de clients.

Nous reviendrons sur les particularités des compagnies privées japonaises dans la partie suivante. Pour le moment, sachez que la branche JR East est la plus grande du pays du soleil levant. Elle accueille plus de 17 millions de passagers par jour sur quelque 12 209 trains. Leur retard moyen (lorsqu’il s’agit d’un train Shinkansen) est d’environ 20 secondes, ce qui est dans les faits invisibles. Les autres compagnies sont plutôt à environ 50 secondes, on reste donc sous la minute. Maintenant, le Japon n’est pas parfait, et connaît lui aussi des petits retards. Il existe des incidents occasionnels, que ce soient des pannes techniques dans les trains, des accidents naturels (c’est le plus fréquent) ou encore des problématiques engendrées par les voyageurs (comme partout dans le monde). Donc non, les trains japonais ne sont pas tout le temps à l’heure, il peut y avoir des petits couacs. Cela dit, l’archipel est beaucoup moins concerné par ceux-ci que le reste du monde, en partie en raison du comportement des passagers et de la rigueur appliquée des professionnels ferroviaires.

Si vous avez déjà été au Japon, vous avez sans doute remarqué une gestuelle particulière de la part des chefs de train, des chauffeurs et du personnel de gare. Cela peut s’apparenter à une danse incompréhensible pour n’importe quel voyageur occidental, mais cela a en réalité une utilité critique. La variété des gestes physiques et des appels vocaux qu’ils effectuent rentre parfaitement dans le cadre de leurs fonctions. Les mouvements et les commandes vocales constituent une méthode innovante de sécurité industrielle au Japon. Cet ensemble est connu sous le nom de « shisa kanko » (le fait de pointer et appeler). Nous y avions consacré un article complet, que nous vous encourageons à lire. Mais pour résumer, c’est un système qui réduit jusqu’à 85 % les erreurs sur le lieu de travail. C’est donc une culture du travail, de sécurité et d’habitude qui permet de respecter des règles prescrites et d’assurer le bon fonctionnement des trains. Cela contribue ainsi à la ponctualité de l’ensemble du système ferroviaire.

Le système ferroviaire nippon

Carte des lignes JR au Japan
Carte des lignes JR au Japan / Source : japanrailpass.net

Nous avons abordé la question du train iconique Shinkansen. Maintenant, passons au système ferroviaire en lui-même. Il est extrêmement développé au Japon, à la manière de ce que l’on peut trouver en France, et bien loin d’autres continents comme l’Amérique par exemple. Il y a des lignes un peu partout au Japon. Ce qui change par rapport à la France, c’est qu’ici, l’ensemble du système (ou plutôt la très grande majorité) est détenu par le privé. C’est un premier point décisif qui explique la ponctualité des trains. Car à l’origine, le système ferroviaire japonais relevait de la responsabilité de l’organisation gouvernementale : les Chemins de fer nationaux japonais. Tout cela change en 1987 lorsque le réseau se privatise et se subdivise en 6 entreprises ferroviaires distinctes : Hokkaido Railway Company, East Japan Railway Company, Central Japan Railway Company, West Japan Railway Company, Shikoku Railway Company et Kyushu Railway Company.

Les Japonais ont pour habitude de résumer cet ensemble de compagnies ferroviaires en Japan Railways Group, ou JR Group en abrégé. Elles exploitent la part du lion de tous les services ferroviaires interurbains et de banlieue, ce qui comprend notre fameux Shinkansen. D’après les sources, cela concerne environ 70 % du réseau ferroviaire japonais. Toutefois, ce n’est pas suffisant pour être considéré comme un monopole dans le domaine. À côté, on trouve une centaine d’entreprises qui fournissent des services ferroviaires dans le pays. Celles-ci peuvent être privées ou faire partie du secteur tertiaire. On a par exemple des petites boîtes qui assurent le transport de passagers entre les grandes villes, ou encore certains qui se sont spécialisés dans les services de banlieue.

Là où cela se complexifie, c’est que chaque compagnie offre à la fois des itinéraires qui leur sont propres, et surtout, certaines lignes de train proposées par d’autres compagnies se chevauchent les une les autres. Les services d’abonnement ne sont pas toujours en commun, donc les Japonais ont pour habitude de sélectionner le service qui leur convient le mieux, ou tout simplement de souscrire à plusieurs d’entre eux s’ils y sont contraints. Les organisations du secteur tertiaire sont le fruit d’une collaboration entre les gouvernements régionaux du Japon et des entreprises privées. Le financement est ainsi commun : les habitants de ces régions profitent souvent d’une réduction bienvenue.

C’est bien beau tout ça, mais comment cela se reflète sur les lignes de train japonaises ? Au niveau de la nomenclature, des règles sont appliquées. Les opérateurs sont chargés de nommer toutes les lignes ferroviaires japonaises. La plupart d’entre elles possèdent un nom unique, à quelques exceptions près. Si vous savez lire un peu de japonais, ou que vous utilisez un logiciel de traduction automatique comme Google Traduction, c’est du pain béni : c’est une méthode très pratique puisque les noms de lignes sont même indiqués sur les billets de train pour indiquer le trajet. Globalement, on peut dire que les lignes portent le nom d’une des villes situées le long du chemin. Et dans d’autres cas, les lignes sont nommées en fonction de la région traversée ou simplement de la direction de la ligne ferroviaire. Il y a même des exemples où le nom est issu de l’histoire du pays, un peu à la manière de ce que l’on a dans les stations de métro parisiennes par exemple.

La ponctualité nippone est le résultat d'efforts communs

File d'attente au Japon

Beaucoup de points ont été abordés en détail dans cet article. Si l’on devait faire le bilan, la ponctualité est obtenue par l’excellence opérationnelle, la maintenance systémique, une signalisation moderne en cabine, un matériel fiable et à la pointe de la technologie, et enfin, la discipline culturelle des passagers. Dans une gare japonaise, on trouve des balises de quai qui indiquent aux passagers d’attendre au bon endroit. Cela garantit un embarquement rapide et surtout ordonné. Lors de l’arrivée du train à chaque gare, les passagers se préparent aux portes appropriées pour un débarquement rapide.

Le train japonais qui roule dispose aussi d’une grande amplitude au niveau de ses vitesses. En effet, le conducteur n’est pas obligé de maintenir la vitesse maximale à tout moment. Il peut très bien choisir de laisser le train rouler pour gagner du temps libre et arriver à l’heure à la gare suivante. On peut également, dans un train de grande vitesse, accélérer de 70 km/h à 300 km/h. Il se peut que, au départ, le conducteur ait tiré le levier en retard de deux secondes. Il faudra donc que ce dernier rattrape ses deux secondes d’ici à la prochaine gare. Il peut choisir de rouler un peu plus vite afin d’être dans les délais. Cela explique alors que, lorsque le train est à quai, on ne dispose pas toujours d’autant de temps que prévu. Parfois, on profite de 30 secondes pour embarquer, tandis que dans d’autres cas de figure, on est plutôt sur 20 ou 45 secondes. Pour les trains à grande vitesse, il y a souvent plusieurs minutes, mais elles peuvent pareillement être réduites si besoin. Les conducteurs japonais sont toujours conscients de leurs retards et ajustent leur vitesse en fonction. Il est d’ailleurs rare de voir un seul train en retard, car aujourd’hui, beaucoup d’entre eux le sont (de quelques secondes, que l’on s’entende bien), mais cela est généralement dû à des facteurs externes.

La politesse est donc un indispensable pour que les choses se passent bien dans les trains et les gares nipponnes. Les Japonais en sont parfaitement conscients et y mettent un point d’honneur. En tant que voyageur occidental, nous avons aussi notre propre responsabilité. Les différences de culture et la barrière de la langue ne peuvent pas vous soustraire à cette dernière. Tout un tas de ressources existent sur le Web pour vous préparer en un rien de temps. De notre côté, nous avons rédigé des tutoriels relatifs à l’étiquette japonaise. Nous vous recommandons notamment de lire comment bien se comporter en public au Japon, des précisions sur l’art de faire la queue ou encore les règles de comportement dans les trains au Japon.

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