Au XXe siècle, le gouvernement et les anthropologistes japonais ont tenté de dissimuler une partie de leur Histoire : l’existence du peuple Ainu (Ainous). Pourquoi ? Quel est ce peuple si méconnu ?

Photo prise par le missionnaire John Batchelor en 1902

Le gouvernement Japonais s’était entêté, au fil des années, à créer un mythe national : un peuple homogène, unique, sans aucune diversité ethnique historique. À l’instar des Amérindiens, l’on avait tiré un trait sur l’existence du peuple Ainu, résidents du grand froid d’Hokkaido. Il a fallu attendre 2006 et une intense pression internationale sur le gouvernement pour qu’enfin ce dernier se décide à reconnaître ce peuple à part entière en tant que peuple indigène.

En 2019, la chaîne de télévision NHK a braqué ses projecteurs sur cette population méconnue de la plupart des Japonais et a mis en scène Takeshiro Matsuura (interprété par Matsumoto Jun), un explorateur du XIXe siècle qui fut le premier à précisément observer les Ainu et à documenter leurs us et coutumes. C’est d’ailleurs lui qui donna à Hokkaido son nom.

Une autre reconnaissance de ce peuple est la création d’un musée dédié qui ouvrira ses portes en avril prochain, juste à temps pour le début des Jeux Olympiques. Il devrait aborder six thèmes principaux dont le langage, l’histoire, ou les coutumes.

Aujourd’hui, FuransuJapon vous propose de partir, vous aussi, à la découverte du peuple Ainu.

L’Origine des Ainu

D’après les recherches archéologiques les plus poussées, tout commence il y a 20 000 ans. Les premiers résidents d’Hokkaido seraient en réalité des Sibériens en quête d’un endroit moins hostile dans lequel s’établir. Cette théorie expliquerait donc pourquoi les Ainu – leurs descendants – sont physiquement différents des Japonais, avec des caractéristiques qui se rapprochent davantage des Mongoles (une peau plus foncée, des yeux plus européens et une chevelure bouclée  ; l’on dit même que certains Ainu avaient les yeux bleus). S’il existe plusieurs dizaines de théories à propos de leur arrivée sur les terres nordiques japonaises, il y en a au moins autant sur l’explication de leur manière de vivre si différente du reste du pays.

L’une d’entre-elles, qui est reconnue par la plupart des historiens, suggère qu’un autre groupe immigrant nommé Yayoi serait arrivé plus tard dans le reste du territoire Japonais sans jamais parvenir à la limite de l’île d’Hokkaido. Ils auraient donc développé de nouvelles techniques (notamment en agriculture) de leur côté. Le mode de vie Ainu était alors basé sur une harmonie avec la nature : une population composée de chasseurs, de pêcheurs et d’horticulteurs. Une dernière catégorie se serait développée avec le temps : les marchands, qui traitaient avec d’autres peuples. Cette manière de vivre aurait duré jusqu’au VIIe siècle environ.

Un mythe Ainu dit « Ils vivaient à cet endroit des centaines d’années avant l’arrivée des enfants du soleil ». En accord avec les trouvailles archéologiques, cet énoncé nous apprend que les Ainu sont en fait les descendants de ce que l’on appelle les Jomon-jin, les personnes vivant à l’ère de Jomon; ou encore les premiers habitants des terres japonaises. À vrai dire, il semblerait que les Jomon-jin provenaient tous d’origines différentes,… Nous sommes donc bien loin du mythe d’homogénéité prôné par le gouvernement japonais.

Bien la culture Ainu « pure » soit difficile à identifier de nos jours à cause des mélanges ethniques, elle est bel et bien différente de la culture japonaise.

La culture de ce peuple

Le peuple Ainu a grandi au rythme des histoires ; une mythologie à part entière avec des contes, des figures héroïques ou encore des fables. Elles ont été transmises de génération en génération, racontées aux plus jeunes par les plus anciens. Ce n’est qu’au XXe siècle que ces dernières ont été compilées par écrit, par un célèbre conteur d’histoires Ainu nommé Suteno Orita (1899-1982). Ces histoires sont au cœur de la culture Ainu et reflètent plusieurs aspects de cette dernière, notamment leur religion « animiste ».

En effet, on peut reconnaître leurs croyances comme étant telles puisqu’elles sont fondées sur une célébration de la nature, où les forces spirituelles peuvent être perçues à travers tous les phénomènes existants. Plus exactement, les Ainu considèrent que le monde est fait d’interactions entre les humains et les kamuy. Si le mot ressemble fortement au Japonais kami (Dieu), il désigne une toute autre forme de spiritualité. Le mot kamuy désignerait ainsi les éléments comme le feu ou l’eau, ou encore la lune/le soleil, la faune et la flore. Certaines de ces divinités sont considérées comme étant bonnes (elles protégeraient le village, apporteraient la lumière,…), d’autres mauvaises (elles pourraient causer des maladies, tremblements de terre,…). En plus de ces kamuy « de la nature », il existe également d’autres figures sacrées taillées par l’Homme comme les bateaux par exemple.

Cependant, les divinités les plus connues sont l’ours et le renard. Les animaux sont en général vénérés parce qu’ils permettent à l’Homme de se nourrir de leur chair et de se protéger du froid grâce à leur fourrure. Mais l’ours occupe une place d’exception, considéré comme étant le « Dieu des dieux ».

Une croyance Ainu dit qu’il faut renvoyer le kamuy dans son monde après son apparition. Les chasseurs renvoyaient ainsi l’esprit d’un ours chassé en priant à l’endroit où celui-ci avait été abattu. Si un bébé ours était trouvé, ce dernier était élevé environ deux ans dans le village, puis renvoyé (donc abattu) dans son monde. Les personnes du village prenaient grand soin de l’animal dans l’espoir que le kamuy soit satisfait de son passage du Terre, et qu’il visite à nouveau le village. On appelle cette tradition lotame.
La religion Ainu reste en fait assez opaque car il est sacrilège de parler de religion ou d’écouter quelqu’un en parler. Nous savons par exemple que pour certains rites, des bâtons sacrés sont taillés. Ils peuvent être offerts en offrande à des kamuy, être utilisés comme un ustensile pour exorciser, ou encore exposés en tant que symbole protecteur. Cependant leur signification exacte reste obscure, tout comme l’utilisation de spatules spéciales utilisées pour offrir de la liqueur aux divinités, ou aux ancêtres.

アイヌの男と熊
« Un homme Ainu et un ours »
Photographié dans les années 1930

Les Ainu ont également leur propre langage. Ce dernier n’a pas de transcription écrite, c’est donc une langue qui n’est que parlée. Elle était transmise à l’oral donc, de génération en génération. Cependant ce manque d’écrits a mené peu à peu à la perte de ce dialecte dont la prononciation a été influencée par les kana japonais. Il est dit qu’il n’existe plus que 15 personnes parlant couramment la langue Ainu aujourd’hui. Le Yukar, comme on la nomme, a néanmoins survécu sous la forme des histoires dont nous avons précédemment évoqué l’existence.

Dans tous les aspects de leurs coutumes, les Ainu sont totalement distingués des Japonais. Quelques traditions comme l’abandon du rasoir chez les hommes après un certain âge, le tatouage de la bouche des femmes à l’âge adulte, ou l’habitude de cuire tous les aliments (viandes, poissons),… sont même à l’opposée de la culture traditionnelle japonaise. Seul l’aspect animiste de leurs croyances peuvent rapprocher ces deux peuples.

Reconnaissance du peuple Ainu

Les Ainu n’ont été officiellement « découverts » qu’au VIe siècle et étaient alors considérés comme des barbares. S’ils ont peu (ou même pas) été cité dans les travaux culturels de l’époque, c’est tout simplement parce qu’ils tentaient de rester en dehors du contrôle de l’administration japonaise, n’entretenant que quelques liens commerciaux timides. Avec l’arrivée de l’ère Meiji et ses réformes en 1899, l’île d’Hokkaido a officiellement été annexée et des lois ont été crées afin de restreindre les activités culturelles des Ainu. Cette loi n’a été officiellement supprimée qu’en 1997. Pendant des siècles, le peuple Ainu s’est plié aux décrets nationaux (qui leur interdisaient par exemple de parler leur langue ou de pratiquer leurs rituels) et se sont peu à peu intégrés au peuple japonais, fragilisés par les différentes discriminations.

À partir des années soixante, avec l’aide d’autres groupes minoritaires, les Ainu demandèrent enfin au gouvernement de reconnaître leur différence, et de leur accorder le droit de revendiquer leur culture si particulière. Leur demande ne sera en réalité entendue qu’en 2006, comme nous l’évoquions dans l’introduction de ce dossier. Cette reconnaissance a en partie été possible grâce au militantisme de l’écrivain et premier Ainu à siéger au Sénat: Kanayo Shigeru. En 2012, le premier parti politique Ainu est né.

Loin de la honte et de l’effacement qui ont pendant longtemps caractérisé le peuple Ainu, on peut constater aujourd’hui une revendication de cette origine. Les descendants de ce peuple autrefois oppressé sont fiers de leurs origines, tout comme le montre par exemple le groupe The Ainu Rebels qui mixe musique traditionnelle et hip-hop.

Ce n’est que très récemment que le monde entier s’est intéressé au peuple Ainu, sensible à leur histoire et leur longue absence de la scène japonaise (on retrouve par exemple des représentants du peuple Ainu à la célébration annuelle nommée ‘Prayer Vigil for the Earth’ à Washington DC, Etats-Unis). Grâce à la médiatisation des prochains Jeux Olympiques qui se dérouleront en partie à Hokkaido, et au musée qui ouvrira simultanément ses portes, il se pourrait que nous entendions parler des Ainu, plus que jamais.

Famille Ainu
« A group of Ainu »
Photographié entre 1863-1870

Quelques sources

https://www.tofugu.com/japan/ainu-japan/
https://www.akarenga-h.jp/en/hokkaido/ainu/a-03/
https://en.wikipedia.org/wiki/National_Ainu_Museum
https://www.nhk.or.jp/sapporo/nispa/
https://www.sapiens.org/archaeology/ainu-prejudice-pride/

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