L’inclinaison (お辞儀, o-jigi) est sans aucun doute la définition de la politesse japonaise, du moins du point de vue de l’étranger. C’est la méthode traditionnelle japonaise pour exprimer ses salutations, faire ses adieux, présenter ses respects, s’excuser, faire preuve d’humilité, indiquer sa compréhension ou même son acceptation. Cette coutume est pourtant commune à de nombreuses sociétés.
Certains historiens et analystes pensent qu’elle trouve ses racines dans le comportement animal. En effet, certains mammifères font état de leur soumission en baissant la tête ou en se laissant tomber au sol pour éviter un conflit avec des adversaires plus forts. L’inclinaison est devenue une forme institutionnalisée dans l’étiquette et la culture de multiples sociétés à orientation religieuse. Courber l’échine était jadis considéré comme approprié en présence des divinités et de leurs représentants terrestres.
À l’époque féodale au Japon, ne pas s’incliner au moment prévu ou le faire maladroitement devant un samurai ou un seigneur pouvait entraîner une condamnation à mort. L’apprentissage de la révérence commençait avant même que les bébés ne sachent marcher. Les mamans japonaises poussaient la tête et le corps de leur enfant vers le bas à plusieurs reprises lors de nombreuses occasions quotidiennes où la révérence était le protocole conforme. Par la suite, l’éducation scolaire nipponne a fait de la révérence un comportement presque automatique et instinctif. Elle est progressivement devenue une composante essentielle du caractère japonais.
Les 3 types de révérence
Contrairement à ce que l’on peut parfois entendre en Occident, le Japon ne possède pas 1000 révérences différentes. Il y en a 3, que l’on nommera ici arc léger, arc moyen et arc profond. Ces 3 déterminations correspondent à 3 inclinaisons qui se distinguent en degrés, mais aussi en signification.
- Arc léger
L’inclinaison légère (会釈, eshaku) est le plus souvent utilisé aujourd’hui. Le corps de l’individu est plié à un angle d’environ 15 à 20°. L’arc n’est maintenu que pendant une seconde environ. La pratique veut que les mains soient abaissées sur les côtés lors de l’exécution de l’arc léger, mais dans les faits, cela n’est pas toujours le cas. Par exemple, si vous portez quelque chose, vous n’avez pas besoin de vous plier à cette règle. La position des mains est donc devenue subsidiaire au fil du temps. Il est cependant considéré comme poli de faire un effort pour les ramener sur les côtés. - Arc moyen
L’inclinaison moyenne (敬礼, keirei, également appelée formelle) nécessite que les bras soient étendus vers le bas, et que les mains reposent sur les jambes au-dessus des genoux. On plie ensuite son corps d’un angle d’environ 30 à 45°. La durée de cette révérence est généralement de 2 ou 3 secondes, mais plus elle est maintenue, plus elle a de sens. On s’en sert pour témoigner du respect ou pour s’excuser, bien que d’autres usages soient valables. - Arc profond
L’inclinaison profonde (最敬礼, sai keirei) est la forme de salutations la plus élevée. Elle était couramment utilisée pendant la période féodale. Elle est aujourd’hui devenue inhabituelle, tant elle est formelle. Sa pratique a très vite diminué après la chute du dernier shogun. On s’en servait alors pour saluer l’empereur. Mais depuis que ce dernier n’est plus considéré comme de constitution divine, la pratique se perd peu à peu. Certains traditionalistes sont toujours des adeptes de cette inclinaison profonde. Mais aujourd’hui, la population aura plutôt tendance à employer une inclinaison moyenne pour saluer l’empereur.
La révérence est un élément essentiel de la vie quotidienne du travail au Japon. Les résidents étrangers qui étudient la langue et côtoient fréquemment des Japonais sont susceptibles d’assimiler cette coutume au fil des jours. Il n’est d’ailleurs pas inhabituel de voir des locaux effectuer des courbettes au téléphone !
Pour résumer, on recourt aujourd’hui aux courbures légère et moyenne. L’inclinaison moyenne est utilisée pour saluer les dignitaires, pour honorer des personnes bien plus âgées que vous et à qui vous souhaitez témoigner un respect particulier. Elle est aussi indiquée si vous devez exprimer des sentiments forts de chagrin ou d’excuses. Si l’on doit saluer une même personne de haut rang dans la même journée, on commence par l’inclinaison moyenne, puis on emploie une inclinaison légère à la 2e rencontre.
Culture de l'inclinaison
L’inclinaison est une coutume appréciée et effectuée par les Japonais. Elle peut choquer les Occidentaux qui voient en cela des gestes superflus. Il est vrai que dans certains cas, les courbettes des Japonais ne sont clairement pas sincères. Il s’agit d’une habitude sociale plus que d’une intention exprimée. C’est une tendance qui pourrait bientôt connaître des bouleversements : les jeunes mères japonaises ont quasiment abandonné depuis quelques années la coutume d’apprendre à leurs petits comment et quand s’incliner dès l’enfance.
Aujourd’hui encore, les jeunes Japonais doivent saluer à l’école et dans de nombreuses autres occasions sociales. Toutefois, la pratique n’est pas inculquée comme un réflexe viscéral, comme ce fut le cas jadis. N’allons pas jusqu’à dire que l’approche disparaîtra dans les prochaines années. Simplement, les nouvelles générations embrassent une attitude beaucoup plus désinvolte à son égard. Les Japonais apprécient et cultivent leurs traditions ancestrales, et l’inclinaison en fait partie.
Les milieux financiers sont les plus exposés aux changements. Serrer la main de quelqu’un tenait de l’inconcevable il y a encore 50 ans au Japon. Aujourd’hui, les voyageurs d’affaires et les chefs d’entreprises n’hésitent pas à saluer leurs homologues étrangers de cette manière, plutôt que de saluer. Néanmoins, ces mêmes individus n’ont pas oublié pour autant se courber avec leur famille, pour célébrer l’Obon ou Bouddha.
Je suis un étranger, que dois-je faire ?
En Occident, l’inclinaison n’est pratiquée qu’à de rares occasions. La plus connue est la révérence lorsque l’on a fini de donner une prestation sur scène. Mais dans la vie de tous les jours, en France, nous avons l’habitude de passer par des mots plutôt que par des comportements physiques. Les Japonais sont conscients de ces différences, en particulier avec l’Occident. Les nouveaux arrivants ne sont pas supposés s’incliner, à l’exception des situations les plus formelles.
Dans les mêmes grands magasins et d’autres lieux publics, les clients ne sont pas censés saluer tous les employés du magasin. Cependant, il faut saluer les réceptionnistes (dans un hall d’entreprise ou un hôtel) par un modeste hochement de tête, a minima. Ce petit geste sobre et conventionnel suffit dans la plupart des établissements traditionnels. Vous serez de toute façon accueillis par un « bienvenue » et une civilité !
Les Japonais, tout comme des étrangers séjournant au Japon depuis de multiples années, contournent le problème de la révérence en effectuant simplement un signe de la tête. Il est généralement soutenu pendant quelques secondes. C’est une attitude tout à fait acceptable pour remplacer l’inclination légère (de 20°).
Bien entendu, si vous souhaitez vivre au Japon pendant de nombreuses années et que vous êtes parfaitement assimilé, il faudra faire des efforts. Si vous avez une femme japonaise et des enfants, les Nippons auront un degré d’exigence extrême. La révérence doit faire partie de votre comportement et vous savez comment honorer vos interlocuteurs.
Enfin, les inclinaisons longues et profondes sont réservées à des occasions spéciales. Outre l’empereur et les diplomates très importants, elles expriment des sentiments très forts. Deux amis de longue date qui se revoient après d’innombrables années pourront pratiquer la sai keirei. C’est en quelque sorte l’équivalent japonais de notre étreinte chaleureuse française.