Pourquoi un manga se lit à l’envers, de droite à gauche ?

Couverture du tome 1 de GTO en français avec l'indication sens de lecture japonais

C’est l’une des questions les plus posées quand on découvre les mangas en France ou ailleurs : pourquoi le sens de lecture est-il à l’envers, de droite à gauche ? La réponse courte est plutôt simple : c’est une œuvre japonaise, et au pays du soleil levant, le sens de lecture traditionnel est de droite à gauche. C’est inversé par rapport à nous autres occidentaux et notre alphabet latin. Il y a pléthore de nuances et de particularités à savoir si le sujet vous intéresse. On vous détaille tout ça dans cet article sur FuransuJapon, alors n’hésitez pas à lire jusqu’au bout pour briller en soirée !

Au Japon, de la droite vers la gauche

Les mangas ainsi que les autres œuvres littéraires comme les romans, par exemple, sont lus de droite à gauche au Japon. Cela est valable pour les créations japonaises, mais aussi pour la plupart des œuvres importées et traduites depuis l’occident. Il y a évidemment des exceptions, comme certaines bandes dessinées qui conservent leur direction d’origine. Le sens partant de la droite vers la gauche est directement lié au système traditionnel d’écriture japonaise. Les caractères nippons, et notamment les kanjis (des idéogrammes), sont rédigés historiquement de haut en bas et de droite à gauche. On les rédigeait essentiellement en colonnes verticales, et le sens débutait à la droite de la page ou du manuscrit. C’est ainsi que les mangas ont repris cette conception typiquement japonaise.

La construction même d’un manga est basée sur ce format. Le mangaka, l’auteur de l’œuvre, décortique son travail en plusieurs pages, qui correspondent chacune à une unité. Les coupes, les découpes des contours des personnages, les bulles de dialogue, tout est étudié et soigneusement agencé sur l’espace disponible. L’idée derrière ce travail d’organisation, c’est de créer un « flow », un mouvement qui promène naturellement le regard du lecteur. Et donc, qui insuffle un sens de lecture naturel. Un personnage qui assène un coup de pied le fera généralement vers la gauche de la page, ce qui amène l’œil vers la case suivante. On évite ainsi de devoir faire un grand mouvement d’iris pour accéder à la suite de notre histoire. Dans Naruto, l’auteur Masashi Kishimoto joue beaucoup avec le format des bulles de dialogue pour l’interfacer dans l’action. Il peut aussi choisir de les mélanger avec d’autres éléments, comme des fumées de cigarette, par exemple. Les personnes qui ont lu l’arc d’Asuma dans Shippuden le savent bien.

Représentation du sens ordinaire de lecture d’un manga – Par mangakoaching.com

Comme vous pouvez le constater dans le schéma ci-dessus, le sens de lecture peut dérouter un nouveau venu. Cependant, il devient naturel après quelques minutes. Vous êtes inlassablement porté par le rythme de l’œuvre et vos yeux ne font plus aucune erreur. L’auteur du manga, véritable architecte de son univers, n’hésite pas à en jouer pour vous donner envie de tourner les pages. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’on commence une page par le coin supérieur droit. Ensuite, on parcourt la case de haut en bas, puis on passe à la case à sa gauche. S’il y en a deux, vous devez prendre le chemin logique. Par exemple, deux cases côte à côte seront lues de droite à gauche. Si, par contre, elles sont empilées, vous devez lire de haut en bas. En clair : on lit les cases des pages des mangas de droite à gauche et de haut en bas. Voici trois autres exemples plus parlants ci-dessous. Cliquez pour agrandir :

Il existe toutefois certaines exceptions au Japon. Quand le pays s’est ouvert au monde occidental au XIXe siècle avec la Restauration de Meiji en 1868, la différence des sens de lecture générait de nombreux problèmes. Cela compliquait souvent les traductions, la lecture, les vitesses de déploiement de technologies ou l’adaptation de documentations techniques. C’est pourquoi, même au Japon, certains domaines, comme la science, l’ingénierie ou les mathématiques sont écrits à l’horizontale, à l’instar de l’occident. En revanche, toute la production littéraire reste en vertical (les romans, les poèmes, les mangas, etc.). Le principe de colonne a aussi été conservé. Quand on se balade au Japon, il n’est pas rare de voir des petits romans de poche dans les mains des Japonais à la gare et dans le train. Les formats des ouvrages pourraient bien vous surprendre. Les kanjis, qui expriment des idées à l’aide de signes, permettent de compresser le format d’un bouquin. On a donc souvent moins de pages pour un roman traduit en japonais. Mais cela vient aussi du fait que le sens de lecture de haut en bas permet d’en mettre davantage dans une page, même avec des marges généreuses pour aérer la lecture !

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Comment la France s’est-elle adaptée ?

En France, les œuvres se lisent de gauche à droite. Quand le manga a fait son apparition dans les années 70 et surtout 80, il a fallu prendre une décision. Doit-on reprendre le sens de lecture japonais pour produire une adaptation 100% fidèle en français, ou peut-on l’accommoder à nos us et coutumes ? Eh bien, figurez-vous que tous les cas de figure ont été testés. Prenez par exemple le roi du shōnen en France, Dragon Ball. Les premiers volumes traduits par Glénat ont été complètement remaniés pour le public. Les pages se lisaient donc, sans surprise, de gauche à droite. On s’est très vite aperçu que ce procédé avait ses limites et nuisait à l’intention de l’auteur. En effet, comme dit précédemment, les mangakas conçoivent les planches des tomes comme des ensembles. Tout est agencé selon une idée définie. Il n’y a pas vraiment de hasard dans la construction d’une page. Il y a une alchimie de conception qui ne peut simplement se retrouver basculée de sens. Après les premiers retours des lecteurs, et sans doute des spécialistes, les éditeurs ont changé de position et sont retournés au sens japonais, de droite à gauche. Des « avertissements » ont même été disposés un peu partout. Dans notre premier tome de GTO, édité par Pika Edition en 2001 et imprimé en 2003, vous pouvez le constater : sur l’image de couverture de notre article, la mention « Sens de lecture japonais » est indiquée sur la première de couverture, mais aussi sur la quatrième. De plus, un avertissement avec un panneau interdit vous demande de retourner le livre pour être dans le bon sens, avec un guide à l’appui (que vous avez en entier, plus haut dans cet article).

Mais détaillons un peu sur les différentes expérimentations qui ont eu lieu dans l’histoire, en France comme ailleurs dans le monde. Afin d’inverser le sens de lecture d’une œuvre comme un manga, le plus logique est de tout inverser, en appliquant une symétrie, un « mode miroir ». C’est ce que l’on appelle le flipping. À première vue, ça marche parfaitement. Mais quand on explore les pages, deux énormes problèmes de symétrie sautent aux yeux. Le premier, c’est que la symétrie bouleverse complètement les écritures. Un t-shirt avec écrit « May » en japonais devient « Yam » en français miroir. Il en va de même pour une bonne partie des éléments de décors : les noms de boutiques, les panneaux de signalisation, tout ce qui est représenté et qui comporte du texte est impacté. Deuxième gros problème majeur : les personnages droitiers deviennent des gauchers. On pourrait penser que cela est secondaire, mais dans certains cas de figure, c’est dramatique. Dans le manga Parasyte, la main droite infectée du protagoniste se nomme « Migi ». En japonais, cela signifie « droite ». Imaginez maintenant une adaptation en miroir pour une version européenne. Le protagoniste aurait alors une main gauche qui se nomme « droite ».… Bref, pour le sens et la cohérence, on repassera !

Les maisons d’édition française (Kana, Glénat, Ki-oon, Kurokawa, Delcourt, etc.) se sont rapidement aperçues de l’erreur et ne proposent aujourd’hui plus de mangas de droite à gauche. À la place, nous avons une vraie lecture dans le sens japonais, avec un travail focalisé uniquement sur la traduction. Cela comprend aussi une adaptation pour les annotations et les éléments de langage, et parfois une modification des bulles de dialogue (le français nécessite souvent un plus grand espace par rapport aux kanjis). En revanche, précisons que le manwha, qui nous vient de Corée du Sud, se lit de gauche à droite, comme notre bonne vieille BD franco-belge !

Comme vous pouvez le voir dans l’extrait scanné du premier chapitre de Naruto ci-dessus, la traduction française est de très bonne facture. Les dialogues sont correctement transcrits, les bulles sont adaptées au français, le sens de lecture est respecté. Le fait que ce soit une image numérisée et non un livre physique que l’on aurait scanné ne pose pas de problème ici. La bordure centrale sépare habilement la planche de droite de celle de gauche. Vous noterez que les onomatopées ne sont pas toujours en français. Cela est notamment visible sur la page de gauche : jetez un œil au-dessus de la tête d’Iruka ou autour du jeune Naruto. La langue japonaise est encore présente dans la version française ! Probablement parce qu’il n’y a pas d’équivalences françaises de longueur similaire. C’est un choix conscient de la maison d’édition, Kana. On peut arguer qu’en plus de donner des indications visuelles sur des sons que l’on peut alors s’imaginer, ces onomatopées habillent les dessins. Essayez de les retirer sur cette planche et vous verrez qu’il manque quelque chose ! Le travail de traduction n’est pas simplement une question de dialogue. Dans la même planche, à droite de l’extrait, vous pouvez constater que des inscriptions ont malgré tout été traduites en français. On peut ainsi lire « Un » et « Deux » en toutes lettres. La personne en charge de l’adaptation en français doit donc prendre des décisions, non seulement sur les échanges verbaux (sens, ton, parler) mais aussi sur les décors (panneaux, inscriptions…). Enfin, vous pouvez également voir que certains textes sont volontairement mis en gras ou en majuscules pour véhiculer des émotions (personnage qui crie, par exemple). Mais c’est aussi pour attirer notre attention. Cette double-page se compose de 9 cases. Dans 3 d’entre elles, on voit que le côté droit est mis en avant (texte plus gros dans deux cas, plus épais/gras dans l’autre). C’est une technique simple, mais efficace pour capter notre regard !

Nous espérons que cet article vous aura apporté des éléments de compréhension sur le sens de lecture des mangas, en France ou ailleurs, ainsi que sur la culture du Japon. Comme d’habitude, cet article est en accès libre et le restera. Si vous avez débusqué une coquille, une erreur ou que vous souhaitez rajouter un complément, nous vous invitons à rédiger un message dans l’espace commentaire juste en-dessous. Nous tenons compte de vos remarques et nous mettrons régulièrement l’article à jour. Et si jamais vous souhaitez soutenir FuransuJapon pour avoir plus d’articles de ce genre, n’hésitez pas à le partager autour de vous, sur les réseaux sociaux, sur vos sites ou à vos proches !

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