Le Japon est l’un des derniers pays démocratiques dotés d’un souverain. Contrairement à l’Angleterre qui célèbre une reine et un roi, il s’agit ici d’un empereur et d’une impératrice. Jusqu’à la fin de la seconde Guerre mondiale, l’empereur japonais était doté de nombreux pouvoirs exécutifs et d’un rôle majeur dans la politique nipponne. Nous verrons ici le cas de Hirohito, le dernier à avoir pu jouir de toutes ces forces.
Qui est Hirohito ?
Hirohito, de son nom d’origine Michinomiya Hirohito et de son nom posthume Shōwa (né le 29 avril 1901 à Tokyo, Japon – mort le 7 janvier 1989 à Tokyo), est un empereur du Japon de 1926 à sa mort en 1989. Ce fut le monarque ayant régné le plus longtemps dans l’histoire du Japon.

Les débuts de Hirohito
Étant le fils de l’empereur Taisho, Hirohito né au palais Aoyama à Tokyo. C’est également le petit-fils de l’empereur Meiji, qui a révolutionné le Japon avec une ouverture forcée sur le monde. De son côté, Hirohito embrasse une approche bien différente, avec une vive passion pour la biologie marine. Ce sera d’ailleurs le sujet de plusieurs livres qu’il rédigera après 1945.
Hirohito est un homme curieux, qui visitera notamment l’Europe en 1921. À cette époque, il est encore le prince héritier japonais, et c’est le premier à le faire en tant que premier prince héritier. Lorsqu’il revient, il est directement nommé prince régent, dans la mesure où son père a pris sa retraite forcée en raison d’une maladie mentale.
Tout s’accélère à partir de l’année 1924. Hirohito va notamment épouser la princesse Nagako Kuni. Puis, deux ans plus tard, le 25 décembre 1926, son père décède. Cela va le propulser officiellement comme étant l’empereur du Japon. On doit alors désigner le règne sous une appellation qui le marquera (du moins, les Japonais l’espèrent). On choisit alors le terme Showa, qui signifie littéralement « paix éclatante » ou « harmonie éclairée ».

Depuis la constitution de Meiji qui a été promulgué en 1889, l’empereur jouit de l’autorité suprême. Cependant, on note que dans les décennies précédentes, celle-ci a été largement déléguée aux divers politiques japonais. Hirohito choisit de passer outre cette tradition et reprend les règnes du pouvoir. Cela s’illustre notamment par la suppression d’une tentative de coup d’État par plusieurs militaires, qui se manifeste en février 1936. On peut également citer le remplacement du Premier ministre en 1941, qui démissionne en nommant un remplaçant, ce que Hirohito rejette formellement.
Le Japon militariste et le rôle de Hirohito
Alors qu’une relative démocratie et une gauche émergée entre les années 1910 et 1930 au Japon, il en fut tout autre ensuite. On assiste à une militarisation forcée et un renforcement de l’extrême droite au Japon avant la Seconde Guerre mondiale. Les historiens ont longtemps débattu sur l’importance et l’influence de Hirohito, l’empereur du Japon, sur la destinée politique du pays du soleil levant.
Au début, on a affirmé que Hirohito était relativement opposé à la guerre contre les États-Unis, et qu’il ne voulait pas non plus s’allier avec l’Allemagne et l’Italie, les puissances de l’axe. On a ainsi progressivement dessiné un Hirohito étouffé par les militaires au pouvoir, qui doit se ranger aux côtés de l’opinion dominante.
Par la suite, d’autres historiens ont affirmé qu’Hirohito était plutôt impliqué dans la planification des politiques expansionnistes du Japon. Il aurait été en faveur de la guerre, pour l’invasion japonaise de la Mandchourie (qui correspond aujourd’hui au nord de la Chine) ainsi que les décisions controversées prises durant la Seconde Guerre mondiale. L’universitaire le plus médiatisé avec cette opinion est certainement Herbert P. Bix, qui a rédigé une biographie de Hirohito lauréate du prix Pulitzer.
Aujourd’hui, les historiens sont encore divisés. La vérité se situe quelque part entre ces deux interprétations, mais Hirohito avait bel et bien conscience des risques d’une guerre contre les États-Unis, ainsi que de l’invasion de la Mandchourie. Avec l’apparition de journaux intimes et de quelques documents déclassifiés, les décisions de Hirohito se dévoilent de plus en plus, mais restent encore largement méconnues. Après la Seconde Guerre mondiale, les historiens avaient peine à les retrouver, dans la mesure où la plupart des militaires ont choisi de détruire toutes les preuves potentielles qui pourraient nuire à l’empereur.
Selon Bix et certains documents rendus publics, l’empereur aurait approuvé l’utilisation d’armes chimiques pendant la guerre en Chine. Concernant le massacre de Nankin, un sujet très polémique aux yeux des autorités japonaises et chinoises, il apparaît que Hirohito était au courant du mauvais sort et des mauvais traitements infligés aux prisonniers de guerre. L’empereur n’aurait rien fait, selon ces historiens, pour arrêter les pratiques ou sanctionner les chefs militaires japonais. On entre alors dans une autre critique de Hirohito : l’inaction consentie.
Dans tous les cas, c’est bien Hirohito, l’empereur du Japon, qui choisit de prendre la parole pour la première fois en août 1945. Les derniers généraux ainsi que l’opinion japonaise étaient divisés en deux, entre la capitulation contre l’Amérique et l’URSS, ou bien en faveur d’une lutte sans merci pour défendre le Japon contre l’envahisseur. L’empereur du Japon affirme dans un discours solennel qu’il faut « accepter l’inacceptable », et se rendre. Cette décision et cette prise de parole, très tranchée, ont surpris plus d’un Japonais à l’époque, qui n’y croyaient pas.
Le discours signant la fin de la Seconde Guerre mondiale
Ci-dessous, retrouvez le Gyokuon-hōsō, l’allocution radiophonique de l’empereur Hirohito adressé à la population nipponne le 15 août 1945 :
À Nos bons et loyaux sujets,
Après avoir mûrement réfléchi aux tendances générales prévalant dans le monde et aux conditions actuelles de Notre Empire, Nous avons décidé de régler, par une mesure exceptionnelle, la situation en cours.
Nous avons ordonné à Notre Gouvernement de faire savoir aux Gouvernements des États-Unis, du Royaume-Uni, de la Chine et de l’Union soviétique, que Notre Empire accepte les termes de leur Déclaration commune.
Nous efforcer d’établir la prospérité et le bonheur de toutes les nations, ainsi que la sécurité et le bien-être de Nos sujets, telle est l’obligation qui Nous a été solennellement transmise par Nos Ancêtres Impériaux et que Nous portons dans Notre Cœur. C’est d’ailleurs du fait de Notre sincère volonté d’assurer la sauvegarde du Japon et la stabilité du Sud-Est asiatique que Nous avons déclaré la guerre à l’Amérique et au Royaume-Uni, car la pensée d’empiéter sur la souveraineté d’autres nations ou de chercher à agrandir notre territoire était bien éloignée de Nous. Mais voici maintenant près de quatre années que le conflit se prolonge. Bien que chacun ait fourni ses meilleurs efforts – en dépit des vaillants combats menés par Nos forces militaires et navales, de la diligence et de l’assiduité de Nos serviteurs et dévouement de Nos cent millions de sujets – la guerre a suivi son cours, mais pas nécessairement à l’avantage du Japon, tandis que les tendances générales prévalant dans le monde se sont toutes retournées contre ses intérêts. En outre, l’ennemi a mis en œuvre une bombe nouvelle d’une extrême cruauté, dont la capacité de destruction est incalculable et décime bien des vies innocentes. Si Nous continuions à combattre, cela entraînerait non seulement l’effondrement et l’anéantissement de la nation japonaise, mais encore l’extinction complète de la civilisation humaine. Cela étant, comment pouvons-Nous sauver les multitudes de Nos sujets ? Comment expier Nous-mêmes devant les esprits de Nos Ancêtres Impériaux ? C’est la raison pour laquelle Nous avons donné l’ordre d’accepter les termes de la Déclaration commune des Puissances.
Nous ne pouvons qu’exprimer le sentiment de notre plus profond regret à Nos Alliés du Sud-Est asiatique qui ont, sans faillir, coopéré avec Notre Empire pour obtenir l’émancipation des contrées orientales. La pensée des officiers et soldats, ainsi que de tous les autres, tombés au champ d’honneur, de ceux qui ont péri à leur poste, de ceux qui ont trépassé avant l’heure et de toutes leurs familles endeuillées, Nous serre le cœur nuit et jour. Le bien-être des blessés et des victimes de la guerre, et de tous ceux qui ont perdu leur foyer et leurs moyens d’existence, est l’objet de Notre plus vive sollicitude. Les maux et les douleurs auxquels Notre nation sera soumise à l’avenir vont certainement être immenses. Nous sommes pleinement conscient des sentiments les plus profonds de vous tous, Nos sujets.
Cependant, c’est en conformité avec les décrets du temps et du sort que Nous avons résolu d’ouvrir la voie à une ère de paix grandiose pour toutes les générations à venir en endurant ce qui ne saurait être enduré et en supportant l’insupportable. Ayant pu sauvegarder et maintenir la structure de l’État impérial, Nous sommes toujours avec vous, Nos bons et loyaux sujets, Nous fiant à votre sincérité et à votre intégrité. Gardez-vous très rigoureusement de tout éclat d’émotion susceptible d’engendrer d’inutiles complications ; de toute querelle et lutte fratricides qui pourraient créer des désordres, vous entrainer hors du droit chemin et vous faire perdre la confiance du monde. Que la nation entière se perpétue comme une seule famille, de génération en génération, toujours ferme dans sa foi en la pérennité de son sol divin, gardant toujours présents à l’esprit le lourd fardeau de ses responsabilités et la pensée du long chemin qu’il lui reste à parcourir. Utilisez vos forces pour les consacrer à construire l’avenir. Cultivez les chemins de la droiture ; nourrissez la noblesse d’esprit ; et travaillez avec résolution, de façon à pouvoir rehausser la gloire immanente de l’État impérial et vous maintenir à la pointe du progrès dans le monde.
Le changement de statut de Hirohito
Après la capitulation du Japon en faveur des forces alliées, la question de sanction envers l’empereur est soulevée. Rapidement écartée, elle représente un danger trop important aux yeux des États-Unis. En effet, il était estimé que sanctionner Hirohito d’une manière franche représentait un risque beaucoup trop important de soulèvements populaires et de guerre civile. Les Japonais considéraient leur empereur comme un joyau national, intouchable et de nature divine.
Ainsi, alors que la plupart des hauts gradés japonais sont condamnés à mort ou emprisonnés, l’empereur échappe à toute sentence. Et pour ne pas se retrouver dans la même situation qu’une quinzaine d’années plus tôt, les alliés vont faire le choix de forcer l’empereur à répudier son statut quasi divin. C’est donc que le 1er janvier 1946 que l’empereur japonais perd la plupart de ses droits. Il répudie lui-même son statut et devient un empereur plus symbolique.

L’historien John Dower raconte que la capitulation du Japon « était et avait toujours été inconditionnelle ». Il explique également que la politique officielle des États-Unis était de « réformer l’institution impériale ou l’abolir complètement ». Cela dit, les autorités américaines n’avaient pas tranché jusqu’à la fin de 1945, ainsi le sort de Hirohito était dans le flou.
La nouvelle constitution rédigée par les forces d’occupation américaine en 1946, et qui rentre en vigueur à partir de 1947, fait du Japon une monarchie constitutionnelle. La souveraineté réside désormais dans le peuple, et non dans l’empereur. Celui-ci reste un symbole de l’État et de l’unité du peuple. On voit que son rapport avec la population change progressivement dans l’après-guerre. Alors qu’il était très discret, ne communiquait pas et ne prenait jamais la parole en public, il va progressivement multiplier les apparitions publiques, autoriser la publication d’images personnelles dans la presse, ou encore les livres sur sa vie familiale et personnelle.
Même si la droite conservatrice japonaise était très mécontente de ce changement de statut et de la perte de pouvoir de l’empereur, il faut dire que le Japon rêvait de paix il était sous occupation américaine. La popularité de Hirohito, bien plus proche de la population, va progressivement grimper en flèche au Japon. Le cadre impérial se veut plus démocratique que jamais lorsqu’en 1959, le fils aîné Akihito épouse une roturière, Shoda Michiko. En une fraction de seconde, c’est 1500 ans de vieille tradition japonaise qui s’estompe.
Il est important de préciser que si la décision de maintenir Hirohito à la tête du Japon et de le blanchir (ne pas le condamner pour crimes de guerre) a permis d’assurer une transition démocratique au Japon, la politique étrangère du pays a été bien plus compliquée pendant des années. Cela a complètement faussé les relations avec les voisins asiatiques (Corée du Sud, Vietnam, Chine, etc.) qui ont tous été victimes du Japon pendant la Seconde Guerre mondiale.
Pour se racheter une conduite aux yeux du monde, en 1971, Hirohito entreprend une nouvelle tournée en Europe. Là encore, c’est une première, puisque jamais un empereur japonais en exercice ne s’est rendu à l’étranger. Quatre ans plus tard, en 1975, il effectue une visite d’État historique aux États-Unis. Il y rencontre le président Richard Nixon, et se rend même à Disneyland dans la Californie du Sud.
Jusqu’à la fin de son règne, Hirohito a visité Hiroshima (notamment en 1947) et a continué à pleurer les morts des deux bombes atomiques américaines. Les regrets sont dissimulés, mais bien présents, concernant son rôle pendant la guerre. Il a ainsi déclaré en 1971 qu’il y avait des parties de la guerre pour lesquelles il se sentait « personnellement désolé ». L’empereur du Japon s’éteint le 7 janvier 1989, après avoir passé près de 64 ans sur le trône. C’est le plus long règne impérial de l’histoire du Japon.
Il est remplacé par son fils Akihito. Il sera appelé à titre posthume Showa, le nom caractérisant son règne qui avait été sélectionné au début de celui-ci.
Quelques sources :
- Britannica
- Atomicheritage
- nationalww2museum
- Hiro-Hito : L’empereur ambigu d’Edward Behr