La période Sengoku au Japon (1467-1615)

Ere Sengoku

La période Sengoku (戦国時代, Sengoku Jidai, « période des États combattants ») est une période de l’histoire japonaise marquée par une guerre civile quasi constante, des bouleversements sociaux et des intrigues politiques de 1467 à 1615. La comprendre est essentiel pour saisir convenablement l’évolution du Japon jusqu’à ce jour.

Pourquoi tant d’engouement à propos de la période Sengoku ?

Sekiro Shadows Die Twice

Si autant de personnes connaissent l’époque Sengoku (et parfois, ne connaissent que celle-ci de toute l’histoire du Japon) c’est en grande partie en raison de la culture nipponne dans le XXIe siècle. Son influence a été grande, et de nombreux films, séries télévisées ou encore jeux vidéo embrassent la période Sengoku comme contexte historique. On peut notamment citer les titres Onimusha : Warlords, Sekiro Shadows Die Twice ou encore Genji : Dawn of the Samurai.

Comme nous l’avons vu plus haut, il s’agit d’une époque de l’histoire du Japon qui est fortement marquée par des intrigues politiques, des conflits militaires récurrents ainsi que de multiples turbulences sociales. Sans surprise, cela constitue un terrain idéal pour de nombreuses histoires inspirées de faits réels ou même totalement inventés. Selon le consensus des historiens spécialistes contemporains, cette ère démarre à la fin des guerres d’Onin en 1477 et se ponctue en 1573 avec la destitution du shogun Ashigaka par Oda Nobunaga.

Contexte de l’époque et guerre d’Onin

Shogun Ashikaga Yoshimasa

Afin de comprendre pourquoi cette époque a existé, il est nécessaire de savoir ce qui l’a précédée. Nous avons vu plus haut que l’époque Sengoku démarrer à la fin des guerres d’Onin. Mais savez-vous ce qu’elles sont ? Pour l’essentiel, elles peuvent se résumer en une guerre civile qui a lieu au Japon entre les années 1467 et 1477. A ce moment, nous sommes durant l’ère Muromachi.

Craignant de ne pas pouvoir assurer sa succession, le shogun Ashikaga Yoshimasa décide d’adopter son frère Yoshimi pour en faire l’héritier de son shogunat. Mais moins d’un an après, sa femme accouche d’un garçon, ce qui complique l’affaire. Comme on peut s’y attendre, le shogun revient sur sa décision concernant son frère et décide que son fils sera celui qui lui succédera. Il lui donne d’ailleurs le nom de Yoshihisa.

Guerrier Samurai Bushi

Mais le Japon ne fait pas exception et comme la plupart des régions du monde, des luttes de succession et des rivalités internes sont vives. C’est notamment le cas des clans Yamana et Hosokawa. Sentant qu’il y a désormais deux héritiers pour un seul trône, chacun va se mettre à soutenir l’un d’entre eux. Celui que l’on surnomme le « moine rouge », Sōzen Yamana, veut encourager le fils du shogun. Face à lui, on retrouve Katsumoto Hosokawa qui donne son soutien à Yoshimi, le frère qui a été adopté.

L’affaire se corse puisque Sōzen Yamana et Katsumoto Hosokawa sont liés par des liens familiaux, le premier étant le beau-père du second. Bien sûr, à cette époque, le shogun possède encore une autorité absolue, même si elle commence à être discutée. Ce qui est sûr, c’est qu’aucun des deux hommes ne souhaite tomber en disgrâce et entamer une bataille sanglante sur les terres japonaises.

Toutefois, les historiens racontent qu’ils vont rassembler leur armée, avec des chiffres pour le moins extraordinaire pour l’époque. Yamana dispose de 80 000 samouraïs et mercenaires ; Hosokawa de 85 000 hommes. Les deux vont se rencontrer à Kyoto et dans un premier temps, rien ne se passe. Malgré tout, la situation bascule lorsque la maison des Hosokawa disparaît dans un incendie et que les Yamana choisissent de recruter 20 000 personnes supplémentaires.

La bataille éclate finalement à Kyoto, et quelques mois après le début des escarmouches, le nord de la ville est totalement en ruine. Les citadins doivent aussi la fuir. Les deux protagonistes de cette guerre vont mourir en 1473, sans pour autant arrêter le conflit. Le clan Yamana perd cependant tout son crédit et obtient le titre non désiré de rebelle. L’un des généraux Yamana, Ouchi Masahiro, ne tient plus et décide d’incendier sa section de Kyoto puis de quitter la région en 1477.

Carte des provinces du Japon medieval

Nous sommes donc 10 années après le début de cette guerre, et la situation est pour le moins complexe. La ville de Kyoto a été sévèrement endommagée, les pillards sont légion et la guerre n’a toujours pas accouché d’un vainqueur. Chacun des deux clans n’a pu tuer que quelques membres proéminents adverses, sans pouvoir crier victoire.

Vous vous demandez sûrement pourquoi le shogun, qui est encore beaucoup respecté, n’agit pas pour remettre de l’ordre dans ses terres. De nombreux historiens estiment aujourd’hui qu’il ne se souciait pas réellement de ce qui se déroulait dans son pays, et qu’il était totalement déconnecté. Pendant que la capitale Kyoto brûlait, il préférait s’adonner à la poésie et aux arts. Pourtant, à cette époque au Japon, la guerre peut se dérouler n’importe où, entre plusieurs seigneurs qui n’ont plus d’autorité au-dessus d’eux.

En 1477, c’est la fin du shogunat Ashikaga. Le Japon va se retrouver divisé par les daimyos, des seigneurs de guerres locaux qui bénéficient désormais de beaucoup plus de pouvoir et d’autorité sur leurs terres. C’est ainsi que démarre la période Sengoku, dans un contexte de renouvellement politique, de remodelage territorial et de redistribution des cartes politiques. Aussi, nous avons vu que les forces en présence sont désormais totalement nouvelles, avec des seigneurs locaux plus puissants, mais aussi des « ikki », ces paysans et samouraïs de basse caste qui vont se révolter.

Le début de l’époque Sengoku

Chateau Himeji

Après cette période de guerre civile, le Japon a pu déterminer qui étaient les daimyos faibles et forts. La plupart d’entre eux a pu accumuler beaucoup de pouvoir, mais ils sont également beaucoup moins nombreux. Selon quelques historiens, en 1600, il n’y en aurait plus qu’environ 250 dans tout le Japon. On assiste alors à une véritable consolidation des ressources, avec des armées de campagnes composées de dizaines de milliers de soldats.

Beaucoup plus de châteaux sont construits, et en conséquence, les batailles sont livrées à de plus grandes distances. Tout comme en Europe, les châteaux forts sont symboles des puissances et des progrès architecturaux de l’époque. On retrouve une base en pierre avec une charpente en bois et un donjon de douves. Les armes légères sont devenues très populaires, et facilitent le mouvement des troupes. Dans la deuxième partie de l’époque Sengoku, on constate que les hallebardes, les piques ainsi que les fusils à mèche sont adoptés par un certain nombre de seigneurs de guerres locaux.

Une société stricte

Oda Nobunaga

Bien que cette époque ait été marquée par le chaos politique, la société japonaise du Sengoku jidai était paradoxalement toujours strictement hiérarchisée. À son sommet se trouvaient l’empereur et ses consorts, suivis de la famille royale (qui comprenait également les descendants des empereurs précédents). Les nobles kuge, parents de la maison impériale ou membres de l’élite administrative, se situaient au-dessous d’eux. Ensuite, il y avait le shogun, le dictateur militaire permanent du Japon.

Sous le shogun s’inscrivaient les daimyos provinciaux, qui exerçaient de plus en plus le pouvoir réel dans tout le pays, puis les gokenin, puis les samouraïs et enfin les ronin. La classe supérieure représentait environ 10 % de la population. Les 90 % restants étaient constitués par les classes inférieures.

Dans les classes inférieures, les paysans sont les plus haut placés, ce qui reflète l’importance du statut accordé aux membres de la société qui produisent la nourriture dans un Japon montagneux où les terres sont rares. Les propriétaires terriens se situaient plus haut sur cette échelle (par rapport aux simples ouvriers agricoles et aux autres paysans) et les pêcheurs se classaient à peu près au même niveau que les agriculteurs. Si leur statut social est relativement élevé, leur vie n’est cependant qu’un interminable et pénible labeur. Ils étaient souvent soumis à de lourds impôts et ne pouvaient que rarement consommer le riz qu’ils cultivaient eux-mêmes.

Au lieu de cela, ils consommaient du millet et d’autres céréales moins chères. À la différence des classes supérieures qui portaient des kimonos en soie, ils préféraient s’habiller de vêtements simples et artisanaux en chanvre. En la présence de samouraïs et d’autres bushi, ils veillaient à soigner leurs manières. Il est arrivé qu’un paysan se fasse décapiter en une fraction de seconde pour avoir manqué à son devoir d’obéissance. Autrement, les bushi laissaient les paysans seuls pour cultiver la terre. La famine, la maladie et le collecteur d’impôts étaient les principales craintes des paysans.

Sous les agriculteurs et les paysans se trouvait la classe artisanale qui comprenait les potiers, les sculpteurs, les peintres, les musiciens, les acteurs, les animateurs et les chanteurs. Tout comme les agriculteurs, ils étaient considérés comme des membres productifs de la société. Les commerçants étaient placés dans la catégorie la plus basse de la société. Ils sont considérés comme de simples revendeurs d’articles qui ont été fabriqués par d’autres personnes plus « productives ». Par conséquent, leur gagne-pain est par essence « malhonnête » selon les valeurs de l’époque. Les marchands étaient souvent les membres les plus riches de la société, mais il leur était interdit par diverses lois de faire étalage de leur richesse ou d’en faire la promotion.

La culture durant l’ère Sengoku

Ginkaku ji

Durant la période des guerres d’Omin (jusqu’en 1477), la culture est en recul à Kyoto, qui est ravagée par les affrontements. Les grands noms de la vie culturelle de la capitale se sont réfugiés dans les provinces à l’instar du poète Shinkei. Nous avons vu plus haut que le shogun avait totalement délaissé les affaires politiques pour se concentrer sur la culture, et donc accoucher d’une période faste.

Parmi les grandes créations culturelles, on retient surtout le temple bouddhiste Pavillon d’argent (Ginkaku-ji) en 1482. Mais des progrès culturels ont été faits dans d’autres domaines, à la star de la cérémonie du thé, de la composition florale, de l’art de l’encens, des jardins, de la poésie ou encore de la peinture.

Les rapports avec l’étranger se sont multipliés et les influences également. On note en particulier un fort attrait pour les « choses chinoises » (karamono) et surtout les céramiques et les peintures d’époque Song. En 1543, le premier bateau transportant au Japon des marchands portugais (et donc des Européens) débarque sur les côtes japonaises. L’apport de l’arquebuse est une véritable révolution au Japon et les armes à feu sont construites dès les années 1570 par des artisans japonais.

Entre 1549 et 1650, c’est la période du siècle chrétien, selon l’historien R. Boxer. Dans un premier temps, les Japonais voient dans le christianisme une branche du bouddhisme traditionnel. Puis, peu à peu, à mesure que l’enseignement progresse, on la considère davantage comme une religion indépendante. Dans ce contexte, les nombreux missionnaires qui vont débarquer au Japon vont construire des églises, des collèges ou encore des séminaires. De multiples fidèles sont alors recrutés et notamment à Kyushu, avec 100 000 convertis pour l’année 1582 selon une estimation…

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