Les enfants volés du Japon

Au sein de l’archipel, chaque année, environ 150 000 enfants mineurs sont séparés de force par l’un de leurs parents. Il en découle alors une rupture totale des contacts avec l’autre géniteur, que ce soit sa mère ou son père. Une situation qui interpelle de plus en plus le droit de la famille et le droit international. Plusieurs familles ont décidé de saisir l’ONU, qui pourrait ainsi prévaloir sur une justice japonaise jugée archaïque.

Une question très houleuse

Attardons-nous tout d’abord sur la loi japonaise, qui est l’épicentre du problème en question. Au sein de l’article 766 du Code civil japonais, il est pourtant indiqué que l’enfant doit être en mesure de communiquer avec ses deux parents ; tout comme il doit absolument être protégé de l’enlèvement par l’un d’eux. Ainsi, pour le bien-être d’un enfant, une garde alternée, comme c’est le cas dans nos sociétés, devrait être mise en place. Problème : ce principe de garde alternée n’existe pas au Japon. 

En conséquence, l’enfant est automatiquement confié à l’un des parents, japonais pour la plupart, qui a le droit de choisir de disparaitre complètement. L’autre parent, totalement victime de cet abus juridique, ne voit plus, dans la plupart des dossiers, son enfant pendant plusieurs mois voire plusieurs années. Pire encore, puisqu’il s’agit là d’une décision s’appuyant sur le Code civil japonais, impossible d’entrer en contact avec l’enfant par ses propres moyens sous peine de poursuites judiciaires, qui peuvent même entrainer la prison.

Le Japon a pourtant ratifié la Convention des Nations unies des droits de l’enfant en 1994, et a également signé celle de La Haye en 2014. Néanmoins, cette dernière ne semble clairement pas être appliquée. Pour John Gomez, le président de l’association Kizuna-Child Parent Réunion, « Le Japon se trouve dans une violation extrême des droits de l’enfant du fait d’une faible politique en matière de droits des familles et des conséquences qui découlent de ce manque. »

Des exemples glaçants

Malheureusement, de telles histoires sont aujourd’hui récurrentes. Que ce soient des parents étrangers, qui ont un fils avec une personne de nationalité japonaise et qui ne voient plus leurs enfants, ou encore un couple japonais qui est soudainement séparé, plusieurs affaires sont à déplorer. De nombreux témoignages déchirants s’exposent sur Internet, que ce soit au sein de vidéos YouTube ou dans des journaux.

C’est par exemple le cas de Yusuke Nagatomo : ce directeur d’une société de production audiovisuelle n’a pas vu son fils de cinq ans depuis février 2017. Son épouse était alors allée le chercher un soir à la crèche, et n’est jamais rentrée à la maison avec lui. Elle l’a depuis attaqué pour violence domestique, ce qui semble être un immense mensonge d’après les éléments juridiques. Tout cela dans le but de masquer sa décision de disparaitre avec l’enfant. 

Hiromi Aonuma est une Japonaise, maman de deux filles de 13 et 16 ans, qui ont été enlevées par son ex-mari. Il a aujourd’hui la garde de ces dernières, et souhaite s’installer à Singapour avec sa nouvelle femme, un pays lointain qui couperait définitivement les ponts avec la mère de ses enfants. Le principal problème dans ce genre de décision est que hors du Japon, les maigres droits de la mère ne sont alors plus du tout reconnus.

Que dit la justice japonaise ? 

Dans les faits, la justice nippone s’appuie sur ce principe archaïque : si l’enfant est nourri et en bonne santé là où il est, alors le parent qui est responsable de sa situation a la garde, et globalement une multitude de droits exclusifs. Le second parent, lui, est relégué à un statut mineur.

L’enfant est donc considéré comme une véritable propriété du foyer. La justice, elle, se place ainsi du côté de celui ou de celle qui a kidnappé les enfants, ce qui est une réelle problématique pour les nombreux dossiers en cours qui ont été ouverts par les parents privés de leurs progénitures.

Quand un enlèvement est déclaré par l’autre parent, la police dispose d’un an pour enquêter. Si, au terme de cette procédure, elle juge que l’enfant ne subit aucun préjudice moral ou physique, et est en bonne santé, alors la garde est automatiquement accordée au parent « kidnappeur ». Il est inscrit dans la loi que durant cette démarche, qui peut donc s’étaler sur plusieurs mois, les autorités n’ont pas le droit de fournir une quelconque aide au parent cherchant à reprendre contact avec son enfant, par principe de « respect pour le nouveau foyer fondé autour du parent célibataire. »

Pour l’enfant, c’est un véritable traumatisme, selon plusieurs psychologues. Ce dernier s’imagine, sans trop comprendre la situation exacte, qu’il a été rejeté par le deuxième parent. Sur le long terme, d’après ce professeur de psychologie clinique à l’université internationale de Tokyo, Norika Odagiri, « cela peut entrainer des comportements à risques tels que la mise en échec scolaire, l’hyper sexualité ou l’autodestruction. » Rappelons également que le nombre d’enfants qui se sont suicidés a atteint un record depuis 30 ans au Japon, l’année dernière et cette année.

Les « abandonnés », en majorité des pères, sont donc censés se résigner à ne plus voir, pendant plusieurs années, leur enfant. Les polices et les tribunaux japonais refusent leur plainte, la garde est donc octroyée automatiquement aux kidnappeurs, mais ils peuvent aussi être jugés et sanctionnés pour leurs éventuelles tentatives de connexion avec l’enfant. Le 9 août dernier, le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies a alors été saisi pour apporter de nouveaux éléments de réponse. Plus de 150 000 cas de ce type se produisent chaque année.

Vous pouvez retrouver ci-dessous un superbe reportage par les équipes de France2 :

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