Télétravail au Japon : la culture d’entreprise défie la modernité

Teletravail

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, le monde a assisté à une mutation sans précédent des modes de travail, propulsant le télétravail au cœur des débats et des pratiques professionnelles. Au Japon, ce bouleversement a pris une tournure particulière. En dépit d’une forte demande des travailleurs en faveur de la continuité du travail à distance, de nombreuses entreprises japonaises ont inversé la tendance, réduisant progressivement l’utilisation du télétravail, surtout après la reclassification du COVID-19 en tant que maladie à faible risque par le gouvernement en mai. Cette divergence entre les attentes des employés et les décisions des entreprises ouvre un débat fascinant sur la culture du travail et les perspectives d’avenir au Japon.

Historique du télétravail au Japon

Avant même l’irruption de la pandémie sur la scène mondiale, le Japon, connu pour sa technologie de pointe et son urbanisation dense, n’était pas un fervent adepte du télétravail. En effet, les notions de cohésion d’équipe, de présence physique et de dévouement au bureau étaient profondément enracinées dans la culture professionnelle du pays.

Cependant, la pandémie de COVID-19 a forcé une réévaluation rapide de cette attitude. Lorsque le premier état d’urgence a été déclaré en avril 2020, les entreprises ont été contraintes d’adopter le télétravail pour assurer la continuité de leurs activités tout en protégeant leurs employés. Le taux d’adoption du télétravail est passé de niveaux marginaux à 27,9 % en un temps record. Ce chiffre a même atteint un pic de 28,5 % en février 2022, démontrant l’efficacité et la faisabilité de cette approche, même dans un pays où le travail à distance était autrefois perçu avec scepticisme.

Des images rappelant cette période, telles que celles des « booths de télétravail » de la Central Japan Railway Co. à la gare de Nagoya pour les passagers du train à grande vitesse shinkansen, sont devenues emblématiques de cette transformation. Ces initiatives montraient à quel point les entreprises étaient prêtes à s’adapter, intégrant le télétravail non seulement comme une réponse à une situation d’urgence, mais aussi comme une possible évolution permanente des méthodes de travail traditionnelles.

Toutefois, malgré ces avancées notables et la démonstration de la capacité des entreprises à s’adapter à des conditions inédites, la dynamique du télétravail au Japon a commencé à changer une fois la menace immédiate du virus atténuée. Le défi pour le pays était de déterminer si cette adoption rapide du télétravail serait une transformation durable ou simplement une réponse temporaire à une crise sans précédent.

La situation actuelle

Malgré le contexte favorable initial à l’adoption du télétravail, la situation au Japon a récemment connu un tournant inattendu. Après la reclassification du COVID-19 comme maladie à faible risque par le gouvernement en mai, un nombre croissant d’entreprises japonaises ont commencé à réduire leur utilisation du télétravail, encouragées en partie par la levée progressive des restrictions. Il est intéressant de noter que cette diminution de la pratique du télétravail intervient malgré une demande évidente des travailleurs. En effet, le taux d’adoption du télétravail a chuté à 22,2 %, le plus bas depuis le début de la pandémie.

Ce contraste est d’autant plus frappant lorsque l’on considère le désir exprimé par les travailleurs eux-mêmes. Selon le récent sondage de Persol Research and Consulting Co., 81,9 % des personnes ayant eu recours au télétravail souhaiteraient continuer à travailler à distance. Ce chiffre élevé reflète une reconnaissance des avantages du télétravail, tels que la flexibilité, la réduction du temps de trajet et une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle.

Cependant, malgré cette forte demande, le sondage ne fournit pas de raisons précises quant à leur désir de conserver ce mode de travail. On peut néanmoins spéculer que, au-delà des avantages évidents du télétravail, la pandémie a peut-être conduit de nombreux travailleurs à reconsidérer ce qu’ils valorisent dans leur vie professionnelle, plaçant le bien-être et l’équilibre au centre de leurs préoccupations.

Cette divergence entre les aspirations des travailleurs et les décisions des entreprises met en évidence une tension sous-jacente dans le monde professionnel japonais. Alors que de nombreuses entreprises semblent prêtes à revenir à des méthodes de travail « normales », de nombreux employés ont eu un aperçu d’un monde professionnel différent et sont réticents à abandonner les avantages qu’ils ont découverts. La grande question reste de savoir si cette tendance actuelle de retour au bureau est une réaction temporaire à la récente reclassification du COVID-19 ou le signe d’une résistance plus profonde à un changement durable des méthodes de travail au Japon.

Pourquoi cette réticence au télétravail au Japon ?

La réticence apparente des entreprises japonaises à adopter pleinement le télétravail, en dépit de son succès initial pendant la pandémie, peut être attribuée à plusieurs facteurs culturels, sociaux et technologiques.

1. Les particularités culturelles : Au Japon, la valeur accordée à la communication face à face est profondément ancrée. Dans de nombreuses entreprises, le travail d’équipe, les réunions en personne et l’échange direct sont considérés comme essentiels pour maintenir la cohésion de l’équipe et faciliter la prise de décision. De plus, la présence physique au bureau est souvent perçue comme un signe de dévouement et de loyauté envers l’entreprise, deux valeurs fondamentales dans la culture d’entreprise japonaise.

2. Une culture du travail rigide : Le Japon est célèbre pour son éthique de travail, avec des employés travaillant souvent de longues heures et donnant la priorité à l’entreprise sur leur vie personnelle. Cette approche hiérarchique et formelle du travail peut rendre difficile l’adoption de modèles de travail plus flexibles et décentralisés.

3. Transition numérique : Malgré son image de leader technologique, le Japon a connu une transition numérique relativement lente dans certains secteurs, notamment en ce qui concerne l’infrastructure et les outils nécessaires pour faciliter le télétravail. Des préoccupations concernant la sécurité des données et la confidentialité ont également joué un rôle dans la prudence des entreprises à adopter le travail à distance.

4. Vision du télétravail : Pour bon nombre d’entreprises japonaises, le télétravail a été perçu non pas comme une évolution durable des méthodes de travail, mais comme une réponse temporaire à une crise. Cette perception est renforcée par le fait que, pour certaines entreprises, la principale motivation derrière le télétravail était de prévenir les infections plutôt que de réformer le style de travail.

5. Questions de productivité : Certains dirigeants d’entreprise peuvent avoir des préoccupations quant à la productivité des employés à domicile, estimant que le bureau offre un environnement plus structuré et contrôlable.

Bref, bien que le télétravail ait démontré sa viabilité pendant la pandémie, divers facteurs culturels, sociaux et organisationnels ont freiné son adoption à long terme au Japon. Ces obstacles, cependant, ne sont pas insurmontables, et avec la bonne combinaison de politiques, de technologies et de changements d’attitudes, le télétravail pourrait encore trouver sa place dans le paysage professionnel japonais.

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Mario

La tendance est plutôt au retour à l’entreprise aussi bien en France qu’aux USA, à la demande des employeurs et souvent contre l’envie des salariés. Le Japon n’est donc pas un cas à part. Il a d’une part des abus de certains salariés américains qui sont cités en exemple : absences injustifiées, alors qu’ils sont censés être en télétravail, salariés non joignables, salariés qui ont plusieurs emplois, …

A cela, il faut ajouter la méfiance naturelle de bon nombre d’employeurs qui doutent du rendement des salariés en télétravail et préfèrent les avoir en entreprise pour mieux les surveiller.

Le chemin est encore long pour du télétravail généralisé pour les emplois qui peuvent l’être.