Pourquoi les Japonais n’ont pas de barbe ?

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La barbe, la moustache et la pilosité faciale sont aujourd’hui absentes de la plupart des visages japonais. Cela pousse de nombreux Européens, et en particulier des Français, à s’interroger sur l’interprétation et la perception des poils sur la figure au pays du soleil levant. Certains se demandent s’il faut oui ou non apporter un rasoir pendant leur voyage, quand d’autres, qui se préparent à séjourner dans l’archipel, optent pour un rasage régulier.

Commençons par écarter une idée reçue par certains en Occident : oui, les Japonais possèdent une pilosité faciale et oui, ils ont des barbes s’ils ne se rasent pas. Les Japonais contemporains ne sont guère différents de leurs ancêtres. Pensez aux représentations des moines, des samouraïs ou des shoguns japonais. Ils sont souvent porteurs d’une moustache, d’une barbe ou des deux. Mais aujourd’hui, force est de constater que la pilosité faciale ne court pas les rues au pays du soleil levant… voyons pourquoi.

La barbe, un symbole de puissance

Jusqu’à l’invention des premiers rasoirs ou des outils suffisamment coupants pour s’occuper de sa pilosité faciale, les hommes négligeaient leur apparence physique. Par conséquent, les Japonais de l’Antiquité ont toujours porté la barbe et la moustache. Il y avait çà et là quelques tendances au fil des siècles, mais rien de bien concret. On observe une évolution pendant la période du Moyen Âge japonais, et ce jusqu’à la période Edo. Nous sommes ici entre les XIIe et XVIIe siècles.

Oda-Nobunaga
Oda Nobunaga

On utilise le mot « hyge » pour désigner la barbe. En fait, l’expression est plutôt employée dans le sens de pilosité faciale. On précise l’emplacement, c’est-à-dire la barbe, les sourcils ou la moustache par exemple, en rajoutant un terme dans la phrase. Quoi qu’il en soit, le hyge a longtemps été considéré comme un symbole de force et de prestige. À l’instar de l’Europe, c’était les puissants, notamment les seigneurs et les samouraïs, qui se devaient exhiber une élégante pilosité faciale. Aujourd’hui encore, on peut apercevoir des représentations des empereurs et des shoguns japonais avec une fine moustache soigneusement taillée.

À l’époque comme maintenant, certains naissent en étant imberbes. Ils ne peuvent pas faire pousser de pilosité faciale au point que cela devient dans certains cas un complexe. Il est ainsi rapporté dans certaines chroniques nipponnes que des moustaches et des barbes postiches étaient arborées par certains hommes de pouvoir. On utilisait souvent des créations artificielles en empruntant la pilosité d’autres personnes qui donnaient volontairement, et on allait parfois jusqu’à recourir à des poils d’animaux. On imagine vite l’inconfort que certains devaient ressentir en multipliant le maquillage et ce type d’accessoires…

La pilosité est progressivement interdite

Une fois que le Japon est unifié sous l’égide du Shogunat Tokugawa, la nouvelle nation connaît une période de paix. Les notions de puissance, de prestige et de rivalités sont moins importantes qu’auparavant. L’heure est à l’harmonie du territoire et les nobles ou seigneurs (les daimyos) prennent l’habitude de se raser de près. Cette approche est très vite imitée par l’ensemble de la population et notamment les bourgeois et les marchands. Quelques catégories de population ont cependant gardé la barbe.

D’abord, les paysans japonais préservaient leur pilosité faciale, pour des questions de pratique et surtout financière. Les rasoirs coûtaient cher si l’on voulait soigner son apparence. Les agriculteurs préféraient laisser pousser et couper une poignée de fois dans l’année. Hormis cette catégorie d’habitants, les peuples barbares comme les Aïnous, au nord du Japon (surtout à Hokkaido) et les étrangers conservaient leur pilosité faciale. Ils ne se sentaient pas impactés par les mœurs nipponnes.

Finalement, les autorités politiques décident d’abolir le port de la barbe. En 1867, au terme de l’époque Edo, on observe un regain d’intérêt pour la moustache. L’impulsion vient comme souvent des élites, et surtout du général de l’armée impériale Nagaoka Gaishi. Celui-ci fait la fierté de son régiment puisqu’il arbore la deuxième plus longue moustache du monde avec près de 50 cm de longueur. Quelques officiers se mettent à l’imiter et choisissent de faire pousser leurs poils. Mais plus globalement, on constate que la mode ne prend pas.

La barbe et les Japonais à l'époque contemporaine

Période de guerre

Le cabinet Konoe dans les années 1940
Le cabinet Konoe dans les années 1940

Le début du XXe siècle est marqué par des visages très rasés, de la tête aux pieds dans la population japonaise. Nous sommes alors dans un contexte de militarisation de la société avec un service militaire obligatoire pour tous les jeunes. Il faut imiter les autres pour ne pas déranger l’harmonie du groupe. Le code vestimentaire militaire, tout comme l’allure associée, règne en maître sur les mœurs. Plus tard, la Seconde Guerre mondiale provoque un premier changement dans la société. Les officiers en poste ne peuvent soigner leur apparence. La pilosité faciale pousse, malgré la réticence des contemporains.

Les officiers et les généraux japonais parviennent à se maintenir tant bien que mal. Ce n’est cependant pas le cas des jeunes recrues qui préfèrent se concentrer sur les combats. En 1940, il n’est pas rare d’observer les Japonais avec une moustache touffue, une barbe négligée ou un monosourcil. Mais cela s’explique davantage par les conditions quotidiennes tragiques que par des choix d’élégance.

Malgré tout, cela a eu le mérite de dédramatiser le port de la barbe pour un homme. Ce choix physique est plutôt accepté par les contemporains au sortir de la guerre. Mais il est surtout apprécié des artistes comme les musiciens ou les peintres. Du reste, la société associe encore trop fortement la propreté à un rasage complet. C’est pourquoi progressivement, la plupart des entreprises vont se mettre à interdire la pilosité faciale pour leurs employés.

Fin du XXe et début du XXIe siècle

L'acteur Toshiro Mifune a souvent porté la barbe pour les besoins de ses films
L'acteur Toshiro Mifune a souvent porté la barbe pour les besoins de ses films

Tokyo est estimée comme la capitale de la mode japonaise. Les standards de la ville dictent le ton à toutes les municipalités nipponnes. Sauf exception comme les artistes et les personnes excentriques, les porteurs de barbe sont mal considérés. Ils sont parfois surnommés des « gaijin », c’est-à-dire des étrangers en japonais.

Une idée largement répandue dans la société japonaise est que la barbe est un signe de négligence de l’hygiène. Les Nippons, à travers les valeurs véhiculées à la télévision et à la radio, aiment ranger les deux sexes dans des cases bien distinctes et étiquetées. La femme se doit d’être pure, kawaii et féminine. On demanda à l’homme, de son côté, d’être mature, droit, bien rasé et viril. Bien que les mentalités changent progressivement au XXIe siècle, cette image a perduré dans les esprits.

C’est pourquoi, en 2022 au Japon, le commun des mortels ne porte pas de barbe. Quand on souhaite entrer dans une société ou dans l’administration, il est exigé de ne pas disposer d’une pilosité faciale. On doit se plier aux coutumes comme l’uniforme ou la chemise cravate. Ainsi, pour la plupart des adultes, la pilosité faciale n’est guère un choix esthétique, mais une obligation à assumer. La grande majorité des entreprises traditionnelles ou classiques ont inscrit l’interdiction de la barbe dans le règlement. Si vous dérogez à cette règle, on peut engager un procès contre votre personne !

Une mentalité qui change ?

Hideo Kojima dans une vidéo pour Xbox

Nous avons vu que les sociétés forcent, ou du moins, incitent vivement leurs employés à se raser la barbe et la moustache. Mais qu’en est-il des autres figures de la société japonaise ? À vrai dire, on observe que les acteurs qui ont bien plus d’indépendance quant à leur image n’hésitent pas à laisser pousser la barbe. Ils ne sont pas mal vus par leurs contemporains. Ils jouissent simplement de plus de liberté et ne manquent pas de l’exhiber. Vous connaissez sans doute au moins l’un d’entre eux : Takashi Murakami, Hayao Miyazaki, Hideo Kojima, Fuku Ojisann, Yamada Takayuki ou Jumpei Yasuda.

La barbe est encore un tabou de nos jours dans l’Asie du Sud-Est. La situation est assez similaire en Chine ou en Corée du Sud. Heureusement, en 2022, il n’y a pas d’interdiction de la barbe au Japon. La mondialisation et l’arrivée de plusieurs employés européens (potentiellement barbus) dans les entreprises japonaises pourraient changer la donne. Il semble que l’on se dirige peu à peu vers une démocratisation de la pilosité faciale chez l’individu masculin…

Dois-je me raser si je vais au Japon ?

Si vous partez au Japon pour effectuer du tourisme pendant plusieurs semaines ou même une poignée de mois, vous n’avez pas besoin de vous raser. Une longue barbe peut au choix amuser des Japonais ou les effrayer. Cependant, rien n’est interdit et l’on ne vous refusera pas l’entrée à quelconque établissement. Simplement, il faut garder à l’esprit que la pilosité faciale n’est pas franchement populaire au Japon. Il y a cette idée tenace que la barbe est le résultat d’une négligence de l’hygiène. Cela s’avère un peu moins vrai parmi les jeunes générations, plus ouvertes sur le monde.

En revanche, si vous partez au Japon pour travailler dans une société ou en tant qu’étudiant, il est fortement conseillé de se raser la barbe. Vous éviterez ainsi d’être potentiellement pointé du doigt par vos collaborateurs, de subir des remarques parfois déguisées en blagues ou d’être sermonnés par vos supérieurs. Il ne faut jamais oublier qu’au pays du soleil levant, l’intérêt du groupe prédomine sur les dispositions personnelles. Il est toujours conseillé de s’uniformiser avec vos collègues, quitte à perdre un peu de caractère…

Pour autant, il existe de nos jours un nombre croissant de métiers qui ne requièrent pas de s’attarder sur son physique. Les professions artistiques en sont un bon exemple. De plus, vous pouvez faire le choix de travailler à distance ou d’être votre propre patron. Beaucoup de Français deviennent des professeurs de langue, en anglais ou dans la langue de Molière. Certains n’hésitent pas à laisser pousser une barbe de trois jours pour parfaire leur style !

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