Littérature japonaise

Genji-Monogatari

La littérature japonaise désigne l’ensemble des œuvres écrites par des auteurs japonais. Elle était pendant longtemps uniquement orale. La transmission des textes des savoirs se faisait de bouche à oreille, de génération en génération. Elle a été relevée pour la première fois sous forme écrite au début du VIIIe siècle après l’introduction du système d’écriture chinois. Les deux ouvrages majeurs sont le Kojiki (une anthologie de mythes, légendes et d’histoires) et le Nihon Shoki (un enregistrement chronologique de l’histoire), respectivement achevés en 712 et 720.

On peut également ajouter les Fudoki compilés par des fonctionnaires provinciaux à partir de 713. Ces ouvrages décrivent l’histoire, la géographie et surtout le folklore de différentes provinces de l’archipel. Au VIIIe, une forme de vers comprenant 31 syllabes (5-7-5-7-7) était utilisée sous le nom de tanka. Plusieurs procédés poétiques employés dans ces chansons comme le makura kotoba (mot coussin), sorte d’épithète, sont demeurés des caractéristiques de la poésie ultérieure.

Toutefois, le produit littéraire le plus brillant de cette époque reste le Man’yoshu, une anthologie de 4500 poèmes formés par des gens de toutes classes (roturier, fonctionnaire, empereur) vers 759. C’est le plus grand monument littéraire de la Période de Nara, entre 710 et 784. Cette anthologie est composée de 4500 tanka, mais les œuvres les plus abouties sont probablement les 260 choka, des poèmes longs. Certains dépassent les 150 lignes de longueur, et se présentent sous la forme de lignes alternées en 5 et 7 syllabes, suivies d’une ligne de conclusion en 7 syllabes. Cette nouvelle structure permet aux auteurs une plus grande liberté dans les thématiques qu’ils abordent : on observe des histoires qui relatent la mort d’une femme ou d’un enfant, la découverte d’une mine d’or dans une province lointaine (Chine) ou les difficultés du service militaire.

Kokin wakashu
Kokin wakashu

Le Kokin wakashu (ou Kokinshu) est publié en 905. Il s’agit de la première anthologie de poésie commandée directement par un empereur. Sa préface rend un hommage appuyé aux vastes possibilités de la littérature. C’est aussi le premier ouvrage majeur de la littérature en kana. Il a été compilé par le poète Ki Tsurayuki et d’autres. Quelques 1111 poèmes sont divisés en 20 livres, classés par sujets, dont 6 livres de poèmes saisonniers, 5 livres de poèmes d’amour et des livrets uniques consacrés) des sujets comme les félicitations, les voyages ou le deuil.

On conserve environ 500 chants primitifs de cette époque. La majorité d’entre eux décrivent des excursions. On observe une large fascination pour les noms de lieux, comme en témoignent les énumérations affectueuses des villes, des montagnes et des rivières. Cela culmine dans les Fudoki qui sont des répertoires géographiques.

Période Heian (794-1185)

La période Heian est considérée par beaucoup de Japonais contemporains comme une époque dorée de l’art et de la littérature. La fondation de la ville de Heian-kyō, que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Kyoto, marque un tournant. Les personnes influentes de l’archipel étaient fascinées par la culture chinoise. On imitait les coutumes, les manières et on poursuivait les arts selon leur conception. Un noble japonais se devait de bien connaître la littérature, la poésie, la danse, la calligraphie ou la peinture. C’est donc sans surprise que les premiers écrits de cette époque étaient tous rédigés en chinois.

Des œuvres majeures comme le Le Dit du Genji (Genji Monogatari, début du XIe siècle) de Murasaki Shikibu ou le Makura no Soshi de Sei Shonagon sont estimés comme des fondations de la littérature nipponne. Un nombre impressionnant de thèmes était abordé : l’histoire, la poésie, les amours, les passe-temps dénomment à la cour, etc. Le Taketori Monogatari est même considéré comme une œuvre qui se rapproche de la science-fiction : la protagoniste est une princesse de la lune qui est envoyée sur terre pour la sécurité durant une guerre céleste. Elle est retrouvée et prise en charge par un éleveur coupeur de bambous au Japon. Elle est ensuite ramenée sur la lune par sa vraie famille extraterrestre. Une illustration manuscrite représente un objet volant en forme de disque, similaire à l’idée que l’on se fait des soucoupes volantes.

Anthologie des Trente-six Poètes
Anthologie des Trente-six Poètes, Temple Nishi-Hongan-ji, Kyoto

La poésie nipponne, très en vogue dans les hautes sphères dirigeantes, était complétée par une prose en pleine ébullition. Ki Tsurayuki est célèbre pour son Tosa nikki en 936. C’est un récit de son périple à Kyoto dans la province de Tosa, où il a servi comme gouverneur. Il écrit ce journal en japonais, se distinguant alors de ses contemporains qui préféraient user du chinois. Les évènements du voyage sont entrecoupés de poèmes composés à plusieurs occasions. C’est le premier exemple de journal littéraire tel qu’on l’entend actuellement.

Les poètes et les littéraires japonais profitaient d’un soutien appuyé de la part de la cour impériale. La plupart des auteurs étaient des courtisans ou des dames d’honneur. L’édition d’anthologie de poésie était un passe-temps national. Le Kagero nikki décrit la vie entre 954 et 974 de la seconde épouse de Fujiwara Kaneie, un important fonctionnaire de la cour. Il prend la forme d’un roman autobiographique, même si l’auteur avoue volontiers que la fiction sublime certains de ses souvenirs relatés. Les deux volumes suivants tiennent davantage du journal intime. C’est une composition actuellement estimée comme majeure dans la littérature du pays, car elle s’attarde sur l’expression des sentiments et des émotions.

Les créations d’origines religieuses ne sont pas à oublier. Elles sont majoritairement bouddhistes. Les prêtes utilisent ces histoires rédigées en chinois comme des sources de sermons pour persuader des Japonais ordinaires qu’ils doivent mener une vie vertueuse, conformes à leurs préceptes. C’est l’occasion pour eux de diffuser leur croyance à une population analphabète, incapable de lire des œuvres jugées complexes et théologiques. Le Taketori monogatari au Xe est l’un des ouvrages les plus estimés.

Enfin, la période voit l’apparition du Genji monogatari, considéré par les Japonais comme le plus beau travail de cette période, mais plus généralement de la littérature japonaise. C’est le premier roman important écrit du monde. On suit le prince Genji, qui n’est pas tant remarquable par ses prouesses martiales que par sa sensibilité avec les femmes. L’histoire est racontée en termes de femmes successives que Genji aime. On se plaît à découvrir un protagoniste complexe, qui considère chaque individu comme un élément unique et singulier. Le dernier tiers du roman décrit le monde après la mort de Genji. L’auteur emploie volontairement un ton plus sombre. Le succès de l’œuvre est immédiat et s’est poursuivi dans les siècles suivants, époque contemporaine comprise.

Période Kamakura-Muromachi (1185-1600)

Les nombreuses guerres menées sur le territoire à partir du XIIe siècle marquent un tournant dans la politique du pays. Les militaires (samouraïs) sont projetés à la tête du nouveau régime féodal qui gouverne les affaires des provinces. La discipline martiale devient la priorité. Surtout, la capitale déménage, de Kyoto vers Kamakura. De même, il n’y a que peu d’autrices entre le XIIIe et le XIXe siècle. Cela n’est pas nécessairement dû à un appauvrissement culturel. Les demoiselles n’occupaient pas une position privilégiée et exposée dans le nouveau régime féodal.

Les poètes de la cour, eux, sont restés prolifiques. Quelque 15 anthologies parrainées par l’empire sont achevées entre 1188 et 1439. La composition tanka se développe et se perfectionne. La Shin kokinshu (1205) est largement estimé comme l’accomplissement suprême en matière de composition tanka. Les auteurs se considèrent comme les dignes successeurs des plus grands artistes de la période Heian, déjà perçue comme une époque importante et pétrie de richesses.

La période médiévale japonaise voit l’essor du gunki monogatari, le conte de guerre. L’idée est de documenter les ascensions des familles majeures, mais aussi les batailles, les préparatifs et les hommes éminents du pays en pleine construction. Le Heike monogatari (1220) est sans aucun doute la réalisation la plus connue de cette nature. Pour autant, une telle composition n’est pas la première à décrire la guerre ou des contenus historiques. Mais force est de constater que ce nouveau genre, le gunki monogatari, est apprécié pendant toute la période médiévale. D’autres œuvres importantes comme le Taiheiki (1318) ou le Soga monogatari sont à relever.

Soga-monogatari
Soga monogatari, par Utagawa Kuniyoshi

Cependant, la montée des samouraïs ponctue le déclin de la cour impériale. La littérature aristocratique reste au centre de la culture japonaise, mais on observe de nombreuses créations nostalgiques de l’époque Heian. Surtout, la littérature Muromachi, à partir de 1333, est marquée par la diffusion de l’activité culturelle à tous les niveaux de la société. Le renga, un nouveau genre de verset lié, ou encore le théâtre Noh se développent parmi les genres ordinaires.

Comme en Europe, la littérature croît en même temps que la construction des routes et des pèlerinages. Cela est particulièrement vrai au début du XIIIe et XIV siècle. Les carnets de voyage Fuji kiko (1432) ou Tsukushi michi no ki (1480) sont certainement les œuvres les plus importantes.

Période Edo (1600-1868)

Le Japon connaît la paix et l’unification depuis le démarrage du XVIIe siècle, et ce pendant environ 250 ans. Les villes de Kyoto et Osaka dominent l’activité culturelle. À partir de 1770, c’est Edo (qui deviendra plus tard la capitale impériale et l’actuelle Tokyo) qui prend le pas. Cela est renforcé par une période d’isolement forcé du pays entre le milieu des années 1630 et le début des années 1850. Un décret gouvernemental ferme les citoyens (à l’exception de quelques pêcheurs) au reste du monde. On observe alors un développement des formes indigènes de littérature.

Environ 50 ans après la promulgation de ce décret, l’absence quasi totale d’influence de l’étranger aboutit à une écriture japonaise provinciale. Le pays adopte l’imprimerie au début du XVIIe siècle et enclenche un processus de diffusion d’une nouvelle littérature populaire. Ce n’est qu’en 1591 qu’un ouvrage non religieux est imprimé. En réalité, les Nippons connaissaient l’art de l’imprimerie depuis au moins le VIIIe siècle. Cependant, ils l’avaient réservé exclusivement à la reproduction d’écrits bouddhiques.

À la suite de l’invasion japonaise de la Corée en 1593, une presse imprimée à caractère mobile est envoyée en cadeau à l’empereur Go-Yozei. Très vite, l’impression devient un passe-temps ou une extravagance des riches. On observe une multitude d’exemples de littérature japonaise qui ont commencé à paraître dans de petites éditions. La publication commerciale s’amorce en 1609. Le public devient avide de nouveaux livres et en 1620, plusieurs exemples d’œuvres de faible valeur littéraire sont imprimés en des centaines de copies.

haiku
Haiku, par Yosa Buson

La période Tokugawa est maintenant connue comme étant le moment d’émergence du haïku. Cette forme de poésie extrêmement brève se compose de 17 syllabes, disposées en ligne de 5, 7 et 5 syllabes. Elle a pour origine le hokku, un vers d’ouverture d’une séquence de renga (un genre de la poésie japonaise collaborative). Il devait comporter dans ces 3 lignes la mention de la saison, l’heure de la journée, les traits dominants du paysage ainsi que d’autres détails. Le hokku est progressivement devenu connu sous le nom de haïku à la fin du XIXe siècle.

Le haïku a notamment été perfectionné dans une forme capable de transmettre la poésie de la plus haute qualité par l’auteur Basho. Il a fondé sa propre école en insistant sur le fait qu’un haïku doit contenir à la fois une perception d’une vérité éternelle et un élément de contemporanéité. Le poème doit combiner plusieurs caractéristiques. L’idée est de faire participer le lecteur à la création du poème, une ambition motivée par la brièveté et son monde suggéré. Les compositions les plus connues de Basho sont ses récits de voyages comme le Oku no hosomichi, l’une des œuvres les plus populaires et vénérées de la littérature Tokugawa.

Période Meiji et Taisho (1868-1945)

En 1868, un nouveau système politique est établi. Il prend le nom de Meiji et remplace le système Tokugawa (shogunat) vieux de 260 ans. Le Japon est en phase d’ouverture sur le monde depuis les années 1850. En une trentaine d’années, le Japon opère une mutation accélérée à toutes les échelles : le pays devient rapidement une puissance industrielle et transforme sa politique (Constitution), ses armées, son dispositif social et son économie. La gouvernance étatique de Meiji met en avant les récentes connaissances de l’occident en favorisant la diffusion de quotidiens, de livres imprimés et de manuels scolaires.

À la fin de l’année 1873, un groupe de jeunes intellectuels forment une « société de science, de technique et de littérature » sous le nom de Meirokusha. Ils créent ensemble le journal Meiroku zasshi (1874). Leur objectif est de « populariser » une éducation éclairée et une société éclairée, basées sur la liberté religieuse, une éducation laïque, l’égalité des droits pour les femmes à l’exception du vote, le droit international et même l’abandon de la langue japonaise pour l’anglais.

Beaucoup des membres de la Meirokusha comme Nishi Amane (1829-1897), Nishimura Shigeki (1825-1902), Tsuda Mamichi (1829-1903) ou Kato Hiroyuki (1836-1916) avaient été envoyés à l’étranger par le shogunat Tokugawa pour étudier les systèmes européens et américains. Ils devaient absorber de vastes quantités de connaissances et les rapporter au Japon. Les domaines les plus étudiés sont le droit occidental, les courants politiques, l’économie et sa structure, les sciences et la philosophie.

Meiroku Zasshi (1874)
Meiroku Zasshi (1874)

Cette communauté intellectuelle, formée à l’étranger, va rapidement éditer et traduire un volume important d’ouvrages majeurs. Leurs publications concernent, sans surprise, les sciences, la religion, les gouvernements, les politiques étrangères et la finance. Ils ont été influencés par les notions de civilisation et de progrès sociaux présentés par le français Francois Guizot et Henry Buckle. L’idée dominante est que le Japon serait une nation « moitié civilisée ». Le développement du pays doit passer par une adoption des masses de « l’esprit de la civilisation » comme on le perçoit en occident.

Futabatei Shimei est largement salué comme le père de la modernité littéraire japonaise. Cette distinction lui vient essentiellement de sa création du style vernaculaire genbun-itchi (unification des langues parlées et écrites) qui deviendra plus tard le fondement même du roman japonais moderne. C’est le premier à avoir tâché de traduire des romans occidentaux modernes en japonais vernaculaire, et l’un des premiers à avoir tenté de composer des romans originaux en japonais vernaculaire.

Les périodes Meiji et Taisho sont principalement dominées par les ouvrages Watakushi shōsetsu (私小説). C’est une forme de fiction autobiographique qui est massivement produite. Ainsi, des dizaines d’écrivains ont tenté d’écrire sur leur propre vie et sur les questions banales de la vie quotidienne au cours des années 1900 et 1910. Il était essentiel à l’origine que le protagoniste soit lui-même un écrivain de fiction, et que ses romans se fassent des références entre eux. Cette littérature confessionnelle a été fondée sur la réception japonaise du naturalisme pendant la période Meiji.

Les premiers auteurs sont Toson Shimazaki et Katai Tayama en 1907. Les ouvrages Watakushi shōsetsu se distinguent d’une autobiographie en apportant des détails personnels et versant davantage dans l’émotionnel. L’auteur se concentre sur une plus grande profondeur et le sentiment d’une expérience particulière. On peut qualifier ce genre littéraire comme semi-autobiographique, où la frontière entre l’auteur et le narrateur est floue. On attend du lecteur qu’il considère que le narrateur et l’auteur ne font qu’un.

Dazai Osamu

Les auteurs les plus proéminents sont Mushanokōji Saneatsu et Shiga Naoya. Ce dernier, surnommé le « dieu du roman », a essayé de construire un univers commun à travers ses œuvres afin de faire participer le lecteur. Par exemple, dans Wakai (1917), le lecteur peut lire la perte tragique par le protagoniste d’un nouveau-né à cause de la maladie. On suit aussi la relation troublée entre le protagoniste et son père, jusqu’à leur réconciliation. Un autre roman écrit plusieurs années après, Otsu Junkichi (1912) raconte la rupture entre un père et son fils. Shiga rédige ses compositions en partant du principe que le liseur a déjà consulté ses œuvres précédentes. Les histoires étaient liées entre elles. Certains protagonistes sont des auteurs romanciers qui se souviennent d’une histoire dans un livre, qui est en réalité la trame d’un des ouvrages de l’auteur. Les différentes connexions ne sont souvent pas nommées explicitement, l’auteur s’attend à ce que le lecteur puisse cerner les personnages avec leur identité réelle.

Les auteurs les plus connus du genre Watakushi shōsetsu sont Iwano Homei, Chikamatsu Shuko, Shiga Naoya, Kasai Zenzo, Kikuchi Kan, Hayashi Fumiko, Miura Tetsuo, Dazai Osamu, Toson Shimazaki et Tayama Katai.

Une vague de réalisme par la suite été intégré par Tsubouchi Shoyo et Futabatei Shimei au milieu de l’ère Meiji (fin des années 1880 — commencement des années 1890). Le romantisme a été introduit par Mori Ogai avec son anthologie de poèmes traduits (1889) et porté à son apogée par Toson Shimazaki. Des magazines comme Myojo et Bungaku-kai sont créés au démarrage des années 1900.

Au cours des années 1920 et au début des années 1930, le mouvement littéraire prolétarien (Takiji Kobayashi, Denji Kuroshima, Yuriko Miyamoto et Ineko Sata) produit une littérature engagée politiquement. Elle décrit la vie dure des ouvriers, des paysans, des femmes, et plus globalement de tous les membres opprimés de la société japonaise. Elle met en avant les luttes qui sont entreprises pour décrocher du changement.

Période contemporaine (1945 à aujourd’hui)

Traumatisme de la guerre

La déroute du Japon lors de la Seconde Guerre mondiale et les deux bombardements atomiques influencent grandement la littérature japonaise. On observe dans un premier temps de nombreux ouvrages de réflexion philosophique ou pragmatique sur le sens de l’échec, sur l’élaboration d’une nouvelle société ou d’une réadaptation. On met en scène des anciens militaires ou civils qui doivent se reconstruire, dans un contexte de défaite réaliste au sortir de la Guerre du pacifique. L’œuvre « Sakurajima » de Haruo Umezaki présente au lecteur un officier de marine désabusé et stationné sur l’île volcanique de Sakurajima (près de Kagoshima). Le roman Shayo de Osamu Dazai narre l’histoire d’un soldat revenant du Mandchoukouo.

Les nombreuses publications après 1945 s’expliquent aussi par une conjoncture favorable. Le gouvernement japonais contrôlait strictement toutes les parutions durant le conflit. La censure était massivement appliquée et les rares auteurs qui ne se pliaient pas aux directives impériales finissaient en prison. En octobre 1945, les alliés ont ordonné la libération de plus de 500 détenus politiques, dont une bonne partie de littéraires. Un chiffre important d’auteurs qui avaient connu l’extrême répression politique des années 1930 et la militarisation entre 1930 et 1945 est surnommée la « Première génération d’écrivains d’après-guerre » (Dai-ichiji sengo ha).

La libéralisation de la parole a également permis d’aborder des sujets plus tabous. La plupart des grands auteurs comme Nagai Kafu, Hayashi Fumiko, Hirabayashi Taiko, Ishikawa Jun, Sakaaguchi Ango, Oda Sakunosuke, Noma Hiroshima ou Takeda Taijun composaient sur le sexe. L’idée allait au-delà de la simple fascination pour la scène charnelle. Ces auteurs cherchaient avant tout à représenter des personnes qui tentaient de se réapproprier et de reconcevoir la physicaliste et la sexualité dans le cadre de leur nouvelle vie quotidienne.

Nagai-Kafu
Nagai Kafu

De telles parutions n’étaient pas toujours du goût des autorités en place. Le traducteur Ito Sei et l’éditeur Oyama Shoten ont été coupables d’avoir violé les lois sur l’obscénité dans les années 1950. Des poursuites judiciaires sont engagées contre Shibusawa Tatasuhiko (Akutoku no sakae, 1960) ou une traduction du Marquis de Sade.

On ne peut également nier la censure appliquée à l’ensemble des publications qui abordaient les deux bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki. l’écrivain le plus connu à ce sujet est sans doute Nagai Takashi. Après la Seconde Guerre mondiale, il achève aussitôt un manuscrit sur ses expériences en tant que hibakusha (survivant de la bombe atomique). Son témoignage est riche en détails, car il est devenu médecin pour soigner les autres hibakusha. Ses mémoires ne seront publiés que trois ans après qu’il ait terminé son œuvre, sous le nom de Nagasaki no kane. Elles ont été retardées par la censure américaine et ont immédiatement attiré l’attention du public.

D’autres compositions majeures de témoignage de la littérature japonaise connaissent le même sort. On y aborde aussi les conséquences des radiations sur les rescapés, le traitement infligé aux victimes (parfois reléguées au rang de cobaye) et les considérations morales des contemporains. Ota Yoko et Hara Tamiki commencent à rédiger quelques semaines à peine après le bombardement atomique. Ils sont conscients qu’une censure est en place. On leur ordonne de supprimer des sections entières de leur ouvrage. Finalement, Ota sort son livre remanié Shikabane no machi en 1948, puis, dans sa forme complète en 1950.

Ibuse Masuji
Ibuse Masuji, l'auteur de Pluie noire

Hara Tamiki fait paraître Natsu no hana (Fleurs d’été) sous un nom qui vise à échapper à la vigilance des censeurs. Elle décrit l’expérience du bombardement atomique du 6 août : le narrateur, d’inspiration autobiographique, se débat dans les ruines de la ville et rencontre des personnes mourantes à chaque pas. Le lecteur imite le protagoniste qui s’efforce de comprendre cet événement sans précédent. Ce nouveau quotidien est comparé à l’univers de peintures surréalistes.

L’ouvrage littéraire le plus connu de cette époque est Pluie noire (Kuroi ame) en 1965, de Ibuse Masuji. Il aborde avec réalisme les conséquences désastreuses des radiations sur les habitants et met en avant le phénomène de pluie radioactive. Le traumatisme atomique frappera la plupart des auteurs japonais : Hayashi Kyoko (Matsuri no ba, 1975), Takenishi Hiroko (1929), Inoue Mitsuharu (1963) ou encore Fukunaga Takehuko (1971).

Nouvelles finalités

Après le choc pétrolier de 1973, le Japon renoue avec une croissance forte axée sur les exportations. On nomme cette époque la « bulle spéculative », car elle est marquée par une surchauffe des marchés des valeurs immobilières. Elle fait suite à une aisance grandissante des ménages dans les années 1960. La littérature japonaise de la fin des années 70 symbolise un virage, une rupture assumée qui remodèle un paysage intellectuel faste. C’est aussi une phase où beaucoup d’écrivains établis de la période d’après-guerre continuent leur activité jusque dans les années 80. Les auteurs les plus célèbres sont Abe Kobe, Endo Shusaku, Oe Kenzaburo, Kaiko Takeshi, Kono Taeko et Oba Minako. Le tournant littéraire est incarné par Nakagami Kenji qui devient le premier écrivain né après la guerre du Pacifique à décrocher le prix Akutagawa.

Le monde littéraire japonais identifie toutefois une « crise de la littérature pure » (junbungaku no kiki) au début des années 1990. Certains romans, revisités, sont qualifiés de « non-sens », comme le Kagirinaku tomei ni chikai buru de Murakami Ryu. Il avait remporté le lauréat du prix Akutagawa en 1976. Les deux grands auteurs que sont Eto et Oe se sont régulièrement confrontés, notamment dans le domaine politique. Mais ils avaient en commun l’idée qu’une littérature « pure » et « sérieuse » devait chercher à représenter et à engager la culture nationale. En 1990, Oe s’inquiétait du fait que la littérature grave et le lectorat en général souffre d’un déclin chronique.

Haruki-Murakami
Haruki Murakami

En pratique, on constate une transformation de la littérature japonaise, qui évolue vers plusieurs genres : science-fiction, mystère, romance, fiction historique… C’est ce qui est appelé vulgairement la littérature de divertissement (entateinmento bungaku). Murakami Haruki, l’auteur japonais le plus populaire depuis deux décennies, a publié un hybride de roman policier, de fantastique et de science-fiction en 1985 avec La Fin des temps (Sekai no owari to hadoboirudo wandarando).

Parmi les générations de la seconde partie du XXe siècle, on observe certains écrivains qui ont inauguré la notion de « idole littéraire » (bungaku aidoru). C’est le cas de Murakami Haruki, Yoshimoto Banana, Murakami Ryu, Yamada Eimi et Shimada Masahiko. Ils se démarquent en transcendant les frontières littéraires et en façonnant un nouveau lectorat. Murakami Haruki est certainement la figure la plus influente de sa génération, surtout à l’international. C’est l’écrivain le plus vendu au Japon et à l’étranger.

Seuls deux écrivains japonais ont reçu le prix Nobel de la littérature : Kawabata Yasunari en 1968 et Oe Kenzaburo en 1994. Leur récompense a été perçue comme une fierté nationale au pays du soleil levant et d’immenses célébrations se sont tenues. Cela a contribué au renforcement du lien entre la production littéraire et l’État-nation. Aujourd’hui, Haruki Murakami est souvent cité comme l’un des favoris pour obtenir le prix…

S’abonner
Notifier de
guest

0 Commentaires
Inline Feedbacks
Voir tous les commentaires