Japon-Corée : guerre de Mémoire, guerre économique… Tout savoir sur les différents entre ces deux géants asiatiques

Il y a désormais plus d’un siècle, en 1905, le Japon envahissait la Corée et la colonisait durement. Plusieurs décennies durant, les Coréens étaient totalement sous occupation japonaise, ce qui se traduisit rapidement par des bavures dans tous les domaines, une période d’assimilation violente qui n’a jamais disparu de la mémoire collective. Retour sur l’historique de ces deux pays.

Le XXIe siècle met en lumière les blessures du XXe

Comprenons tout d’abord que le Japon et la Corée du Sud sont en guerre commerciale, aujourd’hui. De multiples partenariats économiques s’appuyant sur des accords entre entreprises issues des deux pays sont toujours valables. En revanche, de plus en plus, les relations se refroidissent, et il est clair que pour une société japonaise, on privilégiera fréquemment une autre alternative que celle qui est coréenne. Cependant, tout n’est pas à jeter, et de nombreux liens subsistent. La tendance, elle, reste à une fragilisation globale.

À cette guerre commerciale, il faut ajouter la bataille de mémoire. On peut notamment citer la Cour suprême sud-coréenne qui a condamné, le 30 octobre 2018, le géant industriel japonais, Nippon Steel & Sumitomo Metals. Il avait alors été demandé à la compagnie japonaise de dédommager quatre anciens travailleurs forcés de la période coloniale, qui s’est déroulée entre 1910 et 1945. Cette procédure, qui prend ses racines en 2003, a enfin connu son dénouement. En revanche, parmi les quatre ouvriers qui étaient désignés, un seul a survécu. Finalement, l’entreprise japonaise doit l’équivalent de 74 000 €. Cette compensation juridique, qui intervient au terme d’une campagne de plus de 15 ans, est une première entre les deux pays.

Carte de la zone asiatique, avec la Corée en rouge foncé

Tokyo a trouvé cette conclusion totalement inadmissible, et a engagé des représailles. Le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, a décidé de revoir sous un œil beaucoup plus sévère les exportations de produits (fluorure d’hydrogène) servant à la fabrication de technologie (écran, composants) vers la Corée du Sud. Plus de taxes, moins de liberté. C’est en ce sens que le Japon a retiré la Corée du Sud d’une « liste blanche », qui offrait des conditions d’exports-imports préférentielles pour environ 1000 marchandises à 27 pays désignés. La mesure prendra effet ce 28 août 2019, et devrait se traduire par des procédures beaucoup plus lourdes pour les entreprises coréennes à obtenir une licence permettant l’importation de ces matières premières. Les Coréens ont tout de suite perçu avec agressivité cette initiative. Avec raison, car c’est la première fois qu’un pays sort d’une liste de ce type japonaise. La péninsule, qui est constamment sous pression avec son voisin du nord, a également toujours le sentiment d’être dans l’attente d’une justice et d’un jugement beaucoup plus révisé et précis du Japon pour son rôle au cœur du XXe siècle.

Carte de la Corée en 1929. Sous domination japonaise, on peut constater l’assimilation généralisée à travers les noms des villes qui ont été japonisés. Source : The Government-General of Korea — Book « Chosen of Today » – Wikipédia

Il n’en fallait pas plus pour engendrer une réaction en chaîne. La Corée du Sud s’est depuis lancée dans un boycottage massif des produits japonais. Partout, de l’alimentation jusqu’aux marchandises technologiques, les Coréens se passent progressivement de leurs voisins nippons. Pourtant, il y a quelques décennies, les partenariats fleurissaient de toutes parts. Au-delà de ce boycottage généralisé, on note une recrudescence des manifestations coréennes visant à mettre en lumière le rôle diabolique du Japon du début du XXe siècle. De plus, on constate que les évènements mémoriels autour des victimes de la colonisation, une blessure toujours aussi vive, sont de plus en plus médiatisés.

Officiellement, Tokyo a adopté une posture tout autre. En effet, elle accuse son voisin coréen de tolérer les réexportations de produits à usage potentiellement militaire, ce qui sert de façade. La réalité est que le gouvernement japonais cherche à pourrir ce devoir de mémoire, qu’une partie non négligeable des Japonais estime avoir déjà rempli. Vous l’aurez compris, la Corée du Sud, elle, recherche une reconnaissance beaucoup plus proche de la vérité, plus fidèle, et qui se traduit parfois par des indemnisations plus lourdes.

En 2019, les relations se tendent encore plus

Moon Jae-in, le président sud-coréen a été élu, notamment, pour ses qualités de diplomate qui servent dans les multiples discours avec son homologue Kim Jong-un. Dans la communication, tout est calculé au millimètre près, et les occasions ne manquent pas afin de faire passer un message. Le 15 août dernier, qui marquait l’anniversaire de la libération de 1945 à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le dirigeant sud-coréen avait choisi de prononcer son allocution dans un lieu bien précis. C’était sur le monument de l’indépendance de Cheonan, au sud de Séoul. C’est la ville natale de Ryu Gwan-sun, une résistante torturée à mort, qui a surtout participé au mouvement du 1er mars 1919, qui remettait en cause l’opposant japonais. Partout en Corée, les protestations contre le Japon et son refus de revoir l’histoire s’affichaient : sur la place Gwanghwamun, des centaines de manifestants portaient des T-shirts « No Abe ». Relevons que le « O » était marqué d’un rouge impérial, rappelant le drapeau japonais de jadis.


Manifestation en 1919 des Coréens. On note les tenues blanches, couleur traditionnelle du pays. Au mois de mars 1919, cette manifestation, pourtant pacifique, sonne comme un véritable rejet de la culture japonaise. Source : Bureau d’information coréen — L’indépendance de la Corée et la paix – Wikipédia

Également, devant l’ambassade japonaise de Séoul, des victimes de la colonisation s’étaient réunies. À l’époque, il s’agissait principalement d’adolescents qui étaient déportés. Et notamment pour le compte de l’industrie d’un haut-fourneau, de l’entreprise Nippon Steal. La même qui a récemment été jugée. Rien que dans la région du Jeolla, ce sont environ 300 Coréens qui seront embarqués de force dans le nord-est du Japon afin de travailler dans des conditions innommables. Ils ne toucheront aucun salaire.

Au fur et à mesure que les mois s’écoulent, le président sud-coréen semble se tourner progressivement vers un refus de collaboration avec le Japon. Il appelle fréquemment à l’unité nationale coréenne, demandant à ses industriels les plus fameux de se passer de produits japonais. La courbe de l’opinion publique vis-à-vis du voisin asiatique paraît suivre cette tendance. L’un des exemples les plus marquants est le tourisme : au début de juillet, les six principales agences de voyages sud-coréennes ont enregistré un taux d’annulation de la réservation et de leur vol vers le Japon de 63 %.

Pourtant, un acteur, pays ami et responsable de la Corée du Sud et du Japon pourrait mettre un terme à ce conflit : les États-Unis. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les Américains se sont largement installés en Asie et font office de juges. Washington est en pleine inquiétude, car beaucoup d’entreprises américaines, Amazon, Apple, Dell pourraient se voir impactées durablement par cette crise entre les deux nations asiatiques. Que ce soient les écrans ou les composants, tous utilisent des produits d’origine coréenne (Samsung, LG) ou japonaise (Sony, Toshiba). Trump, le vendredi 9 août 2019, déclarait que ces deux pays « doivent bien s’entendre par ce qu’ils nous mettent dans une situation délicate ».

Mais l’enjeu est même peut-être plus important que l’actualité pour les États-Unis, avec le spectre d’un scénario cauchemardesque où la Corée choisirait de rompre pleinement et le Japon pour se ranger sous l’effigie chinoise. L’échiquier géopolitique de l’Asie serait totalement ébranlé. Pour le moment, même lorsque des hommes de confiance ont été envoyés à Séoul et à Tokyo, (John Bolton, conseiller à la sécurité nationale ; Matthew Pottinger, spécialiste de l’Asie) les Américains ne semblent pas décidés à intervenir.

Les années 90 : les origines de cette nouvelle mémoire

Si vous ne connaissez que peu l’histoire contemporaine de la Corée du Sud, sachez que la démocratie n’apparait qu’au cours des années 1990. Ce nouveau souffle permet l’émancipation d’une nouvelle parole, sans jugement et portée avec de plus grandes libertés. Durant cette période, bon nombre de victimes de l’occupation vont commencer à conter leur passé. C’est notamment à ce moment précis que les femmes de réconfort vont bouleverser toute une société.

Statues représentant des femmes de réconfort. Certains témoignages expliquent qu’elles « servaient » jusqu’à 15 soldats japonais par jour

Que ce soit au Japon ou en Corée, les sacrifiées cherchaient à obtenir justice. Ainsi, elles n’ont pas hésité à saisir le maximum de tribunaux possibles, à travers toute l’Asie. Au Japon, leurs tentatives n’auront que très peu de succès, dans une société encore très conservatrice, voire révisionniste. Parfois, la défense japonaise frôle le ridicule. Concernant le dédommagement des victimes, certaines décisions de justice évoquent comme argument l’accord de 1965 entre les deux pays qui affirmaient le rétablissement de relations bilatérales. Selon ces décisionnaires japonais, l’ensemble des conflits liés à la période d’occupation était réglé avec cet accord. Les martyres, eux, n’avaient bien évidemment rien reçu, ni indemnisation financière ni reconnaissance politique.

En 2005, en Corée du Sud, ce contrat avait été examiné de plus près par la presse qui découvre un contenu secret. 300 millions de dollars de l’époque avaient été versés au Japon à la Corée du Sud afin de dédommager les victimes pendant l’époque coloniale. En revanche, cet argent n’est jamais parvenu aux citoyens coréens, mais c’est bien le gouvernement en place, celui de Park Chung-hee qui les avait mis au service du développement économique. Le scandale était au plus haut point.

Des anciennes femmes de réconfort, portant un gilet jaune,

Depuis le début des années 2000 jusqu’à l’arrivée au poste du président actuel coréen, les décisions de justice portant sur la mémoire étaient régulièrement freinées. Les plus hautes instances ne se risquaient pas à blesser ou à écorner l’image du Japon, qui était un partenaire financier et politique dans la région asiatique. Mais le président, qui se veut progressiste, cherche à mettre en valeur le mouvement de résistance des Coréens durant la période d’occupation, et à revoir les administrations, qui étaient alors très conservatrices. La décision de justice de l’année dernière, qui a condamné économiquement l’entreprise japonaise Nippon Steal, va dans ce sens.

Bien évidemment, cela ne plaît pas du tout aux autorités de Tokyo. Celles-ci accusent Séoul de ne pas respecter les engagements précédents, notamment celui de 1965. Tout cela comprend de nombreuses questions, d’images, de politique, d’influence, mais également économique. Si une seule a été jugée pour son rôle durant la période d’occupation, on peut s’attendre à ce que des centaines d’entreprises similaires, qui ont régulièrement exploité les Coréens, soient mises sur le devant de la scène. La victoire coréenne peut aussi servir de ce facteur de motivation pour d’autres victimes, qui souhaitent désormais se lancer en justice pour demander réparation.

Deux présidents différents

Rappelons également que ce conflit de mémoire oppose deux hommes foncièrement divisés sur cette question : quand le gouvernement coréen est beaucoup plus progressiste et veut remettre à plat l’histoire de manière plus honnête, l’administration de Shinzo Abe est, elle, clairement révisionniste. De source sûre, nous pouvons affirmer que depuis 2012, des chapitres entiers de l’histoire japonaise ont été supprimés des livres scolaires. Cela comprend notamment des passages peu mémorables pour le régime impérial, comme le massacre de Nankin en 1937. Tout n’est pas tout véridique du côté coréen non plus : il y a une tendance à la glorification de cette résistance, qui apparaît désormais comme beaucoup plus farouche, généralisée que ce que les témoignages de l’époque nous laissent penser. Il y a donc une forte dimension nationaliste dans la lutte pour avoir gain de cause dans cette guerre commerciale, politique et morale. Enfin, on ne peut s’empêcher de considérer la perspective électorale des principaux acteurs du dossier, qui ont fort à jouer pour les prochaines échéances. Difficile également d’imaginer un compromis, tant que les États-Unis resteront sur la touche.

N’oublions jamais les victimes du Japon impérial. L’histoire du pays du soleil levant comprend ses parts sombres que certains, encore aujourd’hui, souhaitent taire. Pendant l’occupation coloniale en Corée, les habitants étaient constamment en état de famine, obligés de manger de l’herbe ramassée sur les chemins. Les femmes de réconfort ont été déportées par milliers pour servir d’esclaves sexuelles aux soldats japonais. Les travailleurs forcés étaient rassemblés comme des troupeaux d’animaux, œuvraient une centaine d’heures par semaine dans des conditions inhumaines. La Corée du Sud, à travers ses victimes qui ont vu leurs vies marquées à jamais par ce Japon impérial, souhaite simplement obtenir justice. Les relations se tendent, et le ministère des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur du Japon à Séoul, afin de l’informer que le Japon n’est plus considéré comme une nation amie par la Corée du Sud…

Le président japonais, coréen et Mike Pence (vice-président des USA) – Source : S. Herman (Voice of America) – Wikipédia

 

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