De la campagne aux plus grandes villes du pays, le Japon est un État drôlement propre. Traditionnellement, la propreté a toujours joué un grand rôle dans la culture nipponne. Les habitants de l’archipel font un effort dans de nombreux aspects chaque jour pour garder un pays propre. Mais quels sont donc les secrets de cette salubrité formidable du Japon ?
Un environnement capricieux
L’archipel japonais, dans sa grande majorité, est bercé d’un climat chaud et humide. Cela n’est pas sans conséquence : les aliments se périment vite, les bactéries s’épanouissent rapidement et les insectes foisonnent aux quatre coins du pays. La saison des pluies en été est un évènement bien connu qui génère de la moisissure et de multiples problèmes de santé. Les habitants locaux n’ont donc pas d’autre choix que de rechercher une bonne hygiène pour vivre dans les meilleures conditions. La population se doit de maintenir elle-même les espaces communs propres afin de faire du Japon un territoire sain.
Gardons à l’esprit que le Japon expérimente des difficultés environnementales qu’il n’a pas encore bien assimilées et résolues. C’est par exemple le cas des ordures dans la mer intérieure de Seto. Cependant, dans l’ensemble, nous pouvons l’identifier comme un pays assez propre, surtout à travers les yeux d’un Occidental. Les villes, en particulier, sont extrêmement bien entretenues. Les graffitis sont rares et les gens ne jettent quasiment jamais des détritus sur le sol.
Ce qui est certain, c’est qu’aux yeux des Japonais, il y a une idée dominante selon laquelle le propre est bon. Le nettoyage est une pratique inculquée dès le plus jeune âge. Les enfants ont pour devoir de nettoyer leurs propres écoles. Les trains les plus rapides du pays, les shinkansen, sont désinfectés de manière liturgique et ponctuelle. Partout où vous allez au Japon, vous tomberez sans doute sur une personne en train de purifier, d’essuyer, de récurer ou de balayer un élément ou un site.
Bouddhisme zen
La civilisation japonaise a été influencée depuis le XIIe siècle par le bouddhisme zen qui a fait son chemin vers le pays depuis la Chine. Cette idéologie que certains qualifient de religion est fondamentalement différente du christianisme ou de l’islam. La propreté est estimée comme une partie intégrante et centrale de la foi. Les opérations journalières comme le nettoyage ou la cuisine sont intégrées dans une routine spirituelle qu’il faut honorer.
À bien des égards, elles sont aussi déterminantes que la méditation. Toutes les activités du bouddhisme zen sont analysées comme des occasions de pratiquer la religion. Eriko Kuwagaki, membre du temple Shinshoji, a même déclaré dans une interview accordée à la BBC que « le nettoyage de la saleté à la fois physiquement et spirituellement joue un rôle important dans la pratique quotidienne ».
Bien que centenaires, ces croyances sont toujours intenses et s’apprécient à chaque visite dans un temple bouddhiste ou même dans un sanctuaire shintoïste. Il est difficile de trouver un endroit gras ou un grain de poussière sur un meuble. Quelque 90 millions de personnes se considèrent comme bouddhistes au Japon, bien que la plupart ne pratiquent pas au quotidien. Malgré tout, les fondamentaux de la conviction ont imprégné la population de façon permanente. Aujourd’hui encore, les Japonais sont clients de la propreté. Maniaques, même, selon certains !
Tout en sachant cela, le Japon n’est pas le seul pays à être bouddhiste. Pourtant, tous ne sont pas aussi propres. Dans ce cas, comment le Japon arrive-t-il à se démarquer des autres ? Cela s’explique sans doute par l’association du bouddhisme avec l’autre grand courant spirituel dominant du pays, le shintoïsme.
Shintoïsme
Nous avons déjà consacré un article entier au shintoïsme au Japon. Cette croyance met l’accent sur la propreté et ceux qui le pratiquent cherchent à être propres, c’est-à-dire purs. Le kegare (saleté ou impureté) est une composante essentielle à maîtriser dans l’accomplissement de sa spiritualité. Les personnes adeptes du shintoïsme exécutent très souvent des rituels de purification pour conjurer le kegare.
Il faut remonter au XVIIe siècle pour constater une combinaison de ces deux systèmes de croyances. Le Japon est rapidement devenu un espace propre, surtout par rapport aux autres nations de l’époque (les pays européens en tête). À titre d’exemple, William Adams, le premier marin anglais à visiter le Japon, mentionne que la noblesse nipponne était « scrupuleusement propre ». L’homme ajoute même qu’il appréciait « les égouts, les latrines et des bains de vapeur en bois parfumés ». Rappelons qu’à la même époque en Angleterre, on n’hésitait pas à jeter les déjections humaines à même la rue.
Vous connaissez probablement Pikachu, la mascotte jaune de l’anime Pokémon. Son rugissement légendaire est Pika Pika (ぴかぴか). En fait, il s’agit de l’onomatopée japonaise employée quotidiennement pour décrire une chose immaculée et clinquante (kirei). On pense que la propreté est une chose « bonne » qu’il faut accomplir. À l’échelle individuelle, tout le monde poursuit un esprit sain dans un corps propre.
Aujourd’hui, il y aurait encore plus de 107 millions de Japonais qui pratiquent le shintoïsme, soit environ 84 % de la population. Comme pour le bouddhisme, ils ont une approche plutôt neutre vis-à-vis de la croyance, et ne sont pas des mordus de tous les rites. On ne suit pas la religion de manière dogmatique, mais on affectionne de se rendre dans les sanctuaires pour certaines occasions. La purification reste prépondérante dans les rites shinto que tout le monde réalise au moins une fois dans sa vie.
L’idée est que les choses du monde physique détiennent une âme. On peut se purifier soi-même (清む, kiyomu) ou bien notre entourage (祓う, harau). Le nettoyage demeure une pratique symbolique, mais omniprésente. On effectue des ablutions à l’entrée des temples, on balaie régulièrement un espace que l’on va emprunter, on se rend dans les onsen (bains publics) pour purifier le corps et l’esprit. Il y a donc un hygiénisme culturel tout à fait assumé de la part des Japonais.
Augustin Berque, géographe retraité et ancien directeur d’études EHESS (École des hautes études en sciences sociales), explique que « dans la religion shinto, la pureté compte beaucoup. On pourrait aussi parler de lustration. L’idée de pureté, au fond, imprègne tout le milieu nippon, à commencer par l’habitant ».
Une éducation au propre
Les enfants japonais sont sensibilisés à la culture du propre dès leur plus jeune âge. Au moment où ils entrent à l’école, ils apprennent qu’ils sont responsables des dégâts qu’ils provoquent. Les écoles japonaises n’ont même pas de concierges. À la fin de chaque journée, les enfants doivent impérativement nettoyer leur salle de classe, ainsi que les autres pièces de l’établissement.
Ce qu’il faut bien retenir, c’est que l’ensemble des écoles du pays sont concernées. La procédure est institutionnalisée depuis des décennies et elle semble fonctionner, malgré les critiques récentes ces dernières années de certains partis. L’enseignant divise les élèves en cinq lignes afin de nettoyer les lieux. Les deux premières lignes vont s’occuper de la salle de classe, les lignes 3 et 4 vont s’atteler au couloir et aux escaliers. La dernière ligne, la moins fortunée, s’attaquera aux toilettes.
Comme le rappelle la directrice adjointe du bureau du gouvernement de la préfecture d’Hiroshima à Tokyo, Maiko Awane, c’est une action qui formate la croissance de tous les individus : « Pendant douze ans, de l’école primaire à l’école secondaire, le temps de nettoyage fait partie du programme quotidien des élèves. Dans notre vie de famille aussi, les parents nous apprennent qu’il est mauvais pour nous de ne pas garder nos affaires et notre espace propres ».
C’est donc une activité quotidienne qui va les constituer tout au long de l’enfance et de l’adolescence. Les enfants saisissent toutes les conséquences et la responsabilité de l’impact qu’ils ont sur leur propre environnement. En somme, ils se rendent compte que s’ils sont désordonnés et négligents toute la journée, ils auront beaucoup plus de travail pour nettoyer l’ensemble. Personne ne veut salir ou dégrader un espace dont il doit s’occuper par la suite.
Certains établissements au Japon, notamment dans le nord du pays, ont décidé d’aller plus loin. Les élèves sont tenus de faire leur propre vaisselle après avoir savouré le repas de midi à la cafétéria (lorsqu’il y en a une). Celles et ceux qui apportent un panier-repas (bento) sont aussi concernés. De cette façon, on essaie de responsabiliser la jeune génération.
Cette relation avec le propre dans l’espace de l’établissement scolaire se développe ensuite. Il s’étend progressivement au quartier, à la maison, à la ville et finalement au pays entier.
Une conscience sociale
Si les Japonais expriment beaucoup moins leurs opinions personnelles de manière franche que les Français, ils subissent toutefois une véritable pression de leurs pairs. En réalité, il s’agit d’une conscience sociale qui est assumée par tout le monde. Ce que les autres vont imaginer de leur voisin est un énorme facteur de propreté au Japon. Tout le monde a tendance à être réservé et assumer une approche collective de la vie. L’accent est mis sur le groupe plutôt que sur l’individu. On va donc s’attendre à ce que chacun agisse d’une manière qui reflète les meilleurs intérêts du groupe, de la communauté ou de la ville en général.
C’est notamment pour cela qu’il n’y a que peu de graffitis au Japon. Les transports en commun sont regardés comme un bien qu’il faut à tout prix préserver et qui appartient à la nation. De plus, beaucoup de personnes prennent des dispositions supplémentaires pour être propres et bien ordonnées. Par exemple, les citadins vont ramener les déchets directement chez eux afin de ne pas les déposer sur le trottoir ou sur le bord de la route. On évite d’apporter du désordre public.
De même, les Japonais ne fument que dans des zones désignées afin de ne pas déranger les non-fumeurs. Les masques étaient portés bien avant la sensibilisation suite à la pandémie de coronavirus à partir de 2020. Les Japonais ont toujours eu l’habitude d’en revêtir un pour épargner des maladies, même légères comme un rhume, à leurs voisins ou collègues. La saleté invisible, c’est-à-dire les germes et les bactéries, est une grande source de préoccupation sur l’archipel. Un acte de considération pour l’autre qui est si simple, mais diablement efficace pour diminuer la propagation des virus. Avec plus de 120 millions d’habitants, le Japon s’évite ainsi une fortune de dépenses en jours de travail perdus et en frais médicaux assumés.
La communauté est donc le maître mot au Japon. Chacun ressent un fort sentiment de fierté envers son environnement, professionnelle, familiale, etc., et veut s’assurer que chacun fait de son mieux pour les gens qui l’entourent. La démarche de conserver les choses méticuleusement propres trouve ainsi tout son intérêt. Si tout le monde s’occupe des autres, alors on s’occupera de moi.
Des amendes très salées
Les concepts philosophiques et les notions de bien commun sont essentiels chez la plupart des individus, mais il ne faut pas oublier que les amendes existent aussi au Japon. D’aucuns diraient que cela constitue l’une des raisons les plus convaincantes pour lesquelles les habitants de l’archipel décident de ramener leurs déchets chez eux et de garder les rues propres.
Le fait de jeter un détritus dans la rue est officiellement nommé « déversement illégal ». Cette action, ordinaire dans nos contrées européennes, est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison ! En réalité, cela n’est jamais vraiment appliqué, mais l’on peut toujours s’exposer à une amende pouvant porter jusqu’à 10 millions de yens, soit 68 950 €.
Tout le monde est concerné, du plus modeste particulier jusqu’aux grandes entreprises. Ces dernières peuvent encourir des contraventions allant jusqu’à 100 millions de yens (près de 700 000 €) si elles sont reconnues coupables d’avoir éliminé illégalement des déchets industriels. Les pénalités sont donc perçues comme une incitation très forte pour garder les déchets avec soi, plutôt que de s’en débarrasser dans la rue.
Un nettoyage par les sociétés privées
Toutes les grandes entreprises japonaises sont influencées par la fameuse technique de gestion des 5 « S ». Elle vise à l’amélioration continue des tâches effectuées dans une entreprise. Elle a été établie pour la première fois dans le cadre du système de production de Toyota. Elle tire son appellation de la première lettre de chacune de cinq opérations en japonais. Celles-ci constituent des mots d’ordre ou des principes cohérents :
- Seiri (整理, ranger)
- Seiton (整頓, ordre)
- Seiso (清掃, nettoyage)
- Seiketsu (清潔, propre)
- Shitsuke (躾, éducation)
L’idée derrière cette liste est d’ordonner le travail de chaque employé, de l’assainir au maximum et de prendre soin de son environnement de travail. L’intérêt pour les groupes industriels était, à l’époque, d’éviter le blocage des machines par un défaut de propreté. La perte de rendement incarnait la bête noire dans une usine, en particulier lors du boom industriel d’après-guerre, jusque dans les années 1990.
Ce qui est de temps à autre surnommé la philosophie des 5S est décisif pour assurer un gage de qualité dans les produits fabriqués. Tous les employés s’adonnent à un nettoyage méthodique des outils de travail et de l’environnement proche. Les plus grandes firmes en vigueur au Japon comme Toyota, Suzuki, Mitsubishi ou encore Sony organisent des journées collectives de nettoyage. Les ouvriers se retrouvent pour masser les déchets et déloger la poussière. Vous l’aurez compris, après le nettoyage de la salle de classe au Japon, un Japonais est en général confronté au nettoyage de son espace de travail.
Même les cadres des sociétés nipponnes, les fameux salarymen, sont concernés. On peut parfois les observer à travers une fenêtre, avec la cravate légèrement desserrée, le blazer sur le portemanteau et un balai à la main, en train de recueillir tous les déchets. Cette approche est désormais une habitude dans le quotidien de la plupart des salariés nippons, ce qui permet d’œuvrer dans un espace sain. De quoi libérer l’esprit et parvenir à un meilleur travail, selon la conception nipponne. Dans les faits, la productivité des travailleurs japonais est l’une des pires du monde selon certains classements, mais cela tient surtout de la multiplication des heures supplémentaires et d’un emploi du temps trop chargé.
Aucune poubelle, mais pas de problème
Toutes les villes françaises disposent de centaines, voire de milliers de poubelles en tous genres, répartis sur tous les 50 mètres. Ce n’est pas le cas au Japon. En fait, il est rare de tomber sur une poubelle publique telle qu’on en a l’habitude dans les pays européens. Les touristes se retrouvent tout à fait déstabilisés et ils se demandent où abandonner leurs déchets. Comment un tel pays peut-être aussi propre sans poubelles publiques ?
Les Japonais considèrent qu’ils sont responsables de leurs déchets dès le moment où ils consomment un produit. Ils vont ainsi transporter une bouteille de soda vide ou un sachet de plastique avec eux, souvent jusqu’à leur domicile. Le pays est d’ailleurs marqué par l’omniprésence des sacs plastiques.
D’ailleurs, saviez-vous que les Japonais ne consomment pratiquement jamais de nourriture en pleine rue ou dans les transports en commun ? Cela ne s’applique pas dans tous les quartiers du pays (Tokyo est un contre-exemple en matière de stands de nourriture), mais cela permet de préserver les lieux que tout le monde emprunte en permanence. On ne croisera jamais de gobelet en plastique usé qui dégouline dans une rame de métro, ou le reste d’un hamburger sur un siège. Le plus souvent, une poubelle bien adaptée sera accessible sur les lieux où les Japonais sont invités à consommer de la nourriture.
Pour finir, évoquons maintenant les animaux de compagnie. Les déjections canines sont quotidiennes et il faut s’en occuper. Tous les propriétaires d’un chien, par exemple, disposent toujours avec eux d’un sac adapté pour ramasser les excréments. L’hygiène réputée des Japonais s’étend aussi sur l’animal en question. Certains n’hésitent pas à nettoyer les pattes qui ont été au contact du monde extérieur avant que la bête puisse pénétrer le domicile.
PS : Pour celles et ceux qui se demandent pourquoi il n’y a pas beaucoup de poubelles dans les villes japonaises, cela s’explique par la crainte d’attentats. Les autorités nipponnes ont décidé de retirer de nombreuses poubelles des lieux publics après la terrible attaque au gaz sarin qui s’est produite dans la station de métro de Tokyo en 1995. On peut donc expliquer cela par des raisons de préoccupations en matière de sécurité.
L'exemple du Shinkansen
Les trains japonais à grande vitesse, les Shinkansen, sont l’équivalent de nos TGV français. Ils sont cependant bien plus modernes, plus propres, et plus agréables. Ils sont auréolés d’une grande prestance et d’une admiration sans égard de la part de beaucoup de Japonais. Il y a même une idée de « Miracle des 7 minutes »… Cette expression renvoie au nettoyage express qui est opéré dans ces trains, à chaque arrêt dans un terminal de gare.
Une fois l’arrêt effectué et les passagers descendus à quai, une équipe de nettoyeurs experts entre en scène. Elle n’a que sept minutes pour nettoyer avec rigueur l’intérieur des trains. On époussette tous les sièges, on chasse le moindre détritus et on désinfecte de façon minutieuse l’espace intérieur.
Afin de parvenir à une telle prouesse, les techniciens de surface sont entraînés. Ils réalisent une série de gestes mesurés, minutés et appliqués avec une rigueur hallucinante. Certains observateurs occidentaux pensent que cela est un exemple frappant de l’hygiénisme démesuré des Nippons. En vérité, les compagnies ferroviaires sont accoutumées à proposer un service et un confort extrême.
Il y a aussi un aspect tout bonnement pratique que les entreprises recherchent en réalisant des ménages aussi poussés : le prolongement de la durée de vie des appareils. Certes, on va respecter l’objet et sa valeur symbolique. Mais il va surtout permettre aux sièges et aux appareils électriques de durer dans le temps. Le même principe est étendu aux avions, aux métros ou aux bus, privés comme publics.
L'exemple des véhicules publics et des routes
Au Japon, la route doit être un exemple de propreté absolue. Le bitume est impeccablement entretenu, surtout dans les grosses villes. On traque le moindre nid de poule et on colmate la première brèche qui apparaît après un tremblement de terre. Les glissements de terrain sont traités dans des délais records.
La pollution est une problématique qui ne semble pas vraiment atteindre Tokyo, du moins plus depuis quelques décennies. Le Japon a opéré un virage à 180° sur les émissions de gaz à effet de serre. Le comportement des entreprises, les municipalités et des particuliers ont vite changé. On peut même avancer qu’il est en avance sur son temps. Ainsi, Tokyo est l’une des capitales d’Asie les plus épargnées par les problèmes de pollution. La plupart des voitures sont désormais hybrides, électriques ou possèdent de petites cylindrées.
Des restrictions considérables sont imposées depuis les années 70 sur les moteurs diesels et essences les plus polluants. Les habitants de la capitale nipponne manquent de place, ce n’est pas un secret. Il est difficile d’entretenir et d’entreposer un véhicule chez soi. Les places se font rares dans les garages et les prix flambent avec les années. Pour beaucoup, avoir une voiture à Tokyo est un fardeau. On préfère se ruer dans les transports en commun qui sont si commodes et pratiques (et propres !).
Comme nous l’avons indiqué plus tôt dans l’article, les métros, les trains sont considérés comme des biens communs que l’on se doit de respecter. On ne les vandalise pas. Cela est aussi vrai pour les camions de pompiers, les camions poubelles, les engins de construction. Les employés sont tenus de les entretenir régulièrement. Ici, on est à l’extrême opposé de la région parisienne et des camions de ramassage de poubelles, qui se sentent à plusieurs centaines de mètres et qui font un bruit d’enfer. Les équivalents nippons sont propres et n’ont presque aucune rayure (dans la plupart des cas, voir image ci-dessus). C’est un spectacle impressionnant pour le premier Européen qui découvre cet aspect.
Enfin, les entreprises nipponnes n’utilisent pas de pétrole pour garder les rues propres. Au contraire, elles vont passer par un système unique de recyclage de l’eau des voitures et des sources industrielles. Une fois traitée, l’eau récupérée est exploitée à des fins de nettoyage des rues. Cela signifie donc que le pays n’utilise que des sources propres et naturelles afin de traiter les trottoirs et le bitume. Le cycle fermé est parfois invoqué en exemple dans la manipulation des ressources naturelles.
Des associations de nettoyage
Vous l’aurez compris en lisant cet article, le Japon est un pays avec des rues propres. Aux États-Unis et en Europe, on voit souvent des initiatives citoyennes pour nettoyer des endroits définis : des plages, des rues, des coins de route, etc. Cela existe aussi au Japon. Pourquoi, nous direz-vous ? Il est vrai que l’on ne trouve presque jamais de détritus au sol. Alors, à quoi bon ?
En réalité, ce type d’organisation permet d’aller encore plus loin, en chassant plus loin que la surface. Certes, il n’y a pas de gros déchets. Les sacs plastiques vont se remplir bien moins vite. On va s’attaquer au-dessous des bancs, aux petits chewing-gums qui peuvent être collés aux machines, au gras qui s’incruste sur les distributeurs, et ainsi de suite. On va donc s’attacher à assainir un lieu public, toujours dans l’optique de parvenir à une ville propre pour un esprit sain.
À titre d’exemple, l’association Greenbird (qui a désormais une équipe en France) sévit dans de nombreuses préfectures à travers le Japon. Elle convie les citoyens à nettoyer régulièrement les zones à fort trafic de la ville, comme l’environnement de la gare. On ne cherche pas à ramasser des canettes de bière ou des emballages de restauration rapide, mais bien à soulever des petits morceaux de papier de la terre avec des pincettes.
C’est aussi l’heure de la traque des mégots de cigarettes qui peuvent se dissimuler derrière les arbres ou les pots de fleurs. Autant d’éléments nocifs pour l’environnement que l’on n’aperçoit pas forcément au premier regard. L’idée ici est de nettoyer avant que cela ne devienne apparent et gênant pour les autres. Aussi, on pense que les gens sont moins susceptibles de jeter des déchets (ou de polluer) dans des endroits ordonnés que dans des lieux en désordre.
La démarcation du propre et du sale, du pur et de l'impur
Les Japonais ont pour habitude de catégoriser les éléments de leur environnement. On aime que chaque chose soit à sa place. C’est une mentalité conservatrice assumée, qui s’avère être un frein important au progrès dans certaines structures sociales, dans les politiques ou dans les innovations en tous genres. Cependant, cela offre aussi une disposition ordonnée de l’espace et une réglementation dans les actions de chacun.
Par exemple, il est rare de croiser un Japonais en train de manger dans l’espace public (comme dans la rue). On ne mélange pas la saleté avec la société civilisée. Il existe une démarcation nette entre le propre et la saleté dans le domicile, puisqu’il est interdit de conserver ses chaussures extérieures en pénétrant dans une maison. On doit impérativement les enlever à l’entrée, dans un espace bien démarqué par une élévation de niveau.
Le même procédé s’applique à l’école. Les élèves laissent leurs chaussures dans les casiers et se changent avec des souliers appropriés. Même les ouvriers qui viennent chez vous sont tenus d’enlever leurs chaussures. Quand vous entrez dans un sanctuaire shinto, vous devez vous rincer les mains et la bouche dans un bassin d’eau en pierre à l’entrée.
Les étrangers qui débarquent au Japon ne tardent pas à adopter un comportement plus propre. Ainsi, on évite progressivement de se moucher en public, on multiplie l’usage de désinfectants en tous genres pour les mains (qui sont mis à la disposition dans les magasins, les bureaux, etc.). On apprend à trier nos ordures ménagères en une dizaine de types différents pour faciliter le recyclage. Ce sont de bonnes habitudes qui, mises bout à bout, permettent de parvenir à une propreté considérable.
Une fierté nationale
Cela peut paraître simpliste dit comme cela, les Japonais ont une authentique fierté nationale en matière de propreté. Ils sont très lucides sur la façon dont ils apparaissent aux autres nations et aux étrangers dans leur pays. Si vous suivez le football, vous avez probablement vu des images de supporters nippons en train de ramasser les déchets du stade après une rencontre pendant la Coupe du monde au Brésil (2014), en Russie (2018) ou au Qatar (2022). Même l’équipe de football laisse son vestiaire en parfait état.
C’est un exemple criant qui se multiplie dans toutes les disciplines sportives, ou les grands rendez-vous comme des concerts. Nous pouvons prendre le cas du festival Fuji Rock, le plus grand et le plus ancien festival de musique au Japon. Les participants conservent toujours, chaque année, leurs ordures avec eux jusqu’à ce qu’ils trouvent une poubelle. Des instants de ramassages collectifs sont organisés afin de laisser à la municipalité un site propre. Chacun est sensibilisé en permanence, malgré l’ivresse du moment. Une vidéo existe même pour le rappeler en permanence !
La vie quotidienne est aussi affectée. Les employés de bureau et de magasins nettoient les rues autour de leur lieu de travail le matin. C’est un réflexe qui s’est immiscé dans les actions de chacun. Des activités de nettoyage de chaussée sont souvent organisées par les quartiers (avec des associations de voisins encore très implantées et présentes).
Si vous habitez dans un appartement, en particulier, il vous sera presque toujours demandé de participer à des nettoyages communautaires réguliers. Officiellement, cela n’est pas obligatoire, mais dans la pratique, il est délicat d’éviter ces responsabilités. On se retrouve entre voisins à des heures prédéfinies, parfois dès 7 heures du matin. Cela permet aux salariés de participer avant d’aller travailler. Tout le monde enfile une paire de gants, s’équipe d’une pelle, d’une faux, d’un rateau ou d’une tondeuse, et l’on s’attaque à dégager collectivement l’espace du quartier.
Dans certains cas, il est possible de couper des arbres, de retirer les mauvaises herbes, de récurer les toilettes publiques. Bref, toute une série d’actions qui permettent aux résidents d’être fiers de leur quartier. La culture « propre et bien rangée » des Japonais est alors à son paroxysme. Enfin, cela permet aux voisins de se retrouver et de se lier en tant que communauté.
La sensibilisation au « propre » explique de nombreux comportements exemplaires. C’est pourquoi de nombreux Japonais apportent leur propre sac-poubelle pour ranger leurs déchets, ou bien leurs cendriers pour fumer leurs cigarettes. Toutefois, en vérité, si vous discutez avec des Japonais, beaucoup vous diront que le pays n’est propre qu’en surface, là où les visiteurs sont susceptibles de se rendre…
Il existe bien sûr de multiples services de voirie qui travaillent le jour au Japon. Ils sont bien formés et passent régulièrement pour faire briller les rues. Cela dit, il y a tout un tas de particuliers et de bénévoles qui prennent le relais une fois la nuit tombée. Au point, parfois, de poursuivre la perfection. Kana Mikami explique sur FranceTVInfo qu’elle aide un soir par semaine, avec ses deux enfants de 13 et 16 ans : « on habite dans le quartier, et comme on trouve que parfois tout n’est pas parfaitement propre, on vient donner un coup de main. Pour nous, c’est une activité comme une autre ».
Le Japon est-il vraiment propre ?
La réponse est plus compliquée qu’un simple « oui » ou « non ». Ce qui est certain, c’est qu’il existe une claire différence entre les rues propres de Tokyo et les autres grandes villes métropolitaines du monde comme Paris. Il serait faux de dire que l’ensemble du territoire japonais est exempt de tout défaut. On peut trouver de nombreux déchets sur le bord de certaines routes, ou dans de modestes rues des zones plus rurales du Japon.
Les résidents de l’archipel, qu’ils soient natifs ou étrangers, disent souvent que les villes du Japon sont les plus propres dans les lieux où les touristes sont les plus susceptibles de se rendre. En fait, certains vont même jusqu’à dire que leurs plages sont plus sales que beaucoup d’autres dans le monde à cause des détritus. Certains Nippons vont même jusqu’à accumuler leurs déchets dans la maison. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils n’ont ni le temps ni l’énergie de les trier et de le déposer dans un bac à recyclage.
Le pays reste l’un des plus industrialisés au monde. La course au profit occasionne bien des situations délicates. On observe un manque d’investissement flagrant de certains secteurs clés de la société, notamment en matière de questions écologiques. Il y avait même une « île aux déchets » japonaise, Teshima (en Mer intérieure de Seto). C’est une décharge industrielle illégale créée dans les années 1980. Son existence a dévasté l’environnement local. Une telle situation est loin d’être isolée, même si les scandales et les répercussions de tels emplacements ont sensibilisé certains citoyens.
En réalité, la course au profit dans le cadre du boom économique du Japon pendant la seconde moitié du XXe siècle a eu bien des conséquences néfastes sur la relative propreté du Japon. Certains lieux ont été sacrifiés, afin d’y expédier les affaires sales, les déchets industriels et urbains, et les rejets des nombreuses industries polluantes. Le consommateur s’en retrouvait préservé (temporairement, au moins).
N’oublions toutefois pas d’évoquer les multiples préoccupations écologiques contemporaines, qui s’immiscent dans un débat sur la propreté d’un pays. Le plastique est omniprésent au Japon, bien plus qu’en France. Les grands groupes industriels n’hésitent pas à délocaliser leur production polluante dans les pays asiatiques voisins.
Dans cet article, nous avons souvent fait référence à l’âme et à la dimension symbolique que les Japonais attachent à n’importe quel objet ou emplacement. On honore une voiture de train parce qu’elle appartient au bien commun et que nous en bénéficions. Pourtant, il y a bien une petite entorse à ce règlement tacite. Les maisons, ou plutôt les habitats, ne sont pas faits pour durer au Japon. On déclare même au sein de l’archipel qu’après 30 ans, une maison est vieille. Les nouveaux propriétaires n’hésitent pas à démolir une bâtisse existante afin de construire du neuf. C’est plus moderne et surtout, cela comprend les dernières normes de sécurité.
De telles décisions s’expliquent en partie par la qualité du sol qui est assez médiocre dans la majorité de l’archipel. Cela ne progresse pas en s’arrangeant, puisqu’on observe de plus en plus de terrains construits en zone inondable ou sur des terrains artificiellement aménagés. Surtout, du fait des centaines de tremblements de terre qui frappent l’ensemble des régions nipponnes chaque année, des typhons qui interviennent régulièrement pendant la saison ou encore les fortes précipitations de la période des pluies, un propriétaire japonais ne prend pas de risque et s’attache à appliquer les ultimes normes de sécurité. On va donc toujours recourir aux techniques de construction les plus modernes.
Les habitants du Japon sont ainsi en quête de la propreté, mais aussi de la sécurité. Le contrecoup est évident, au moins dans ce cas précis : la culture du pays s’en retrouve affectée. Les maisons traditionnelles s’effacent toutes peu à peu, que ce soit par les aléas climatiques, les caprices de la nature ou par la décision des propriétaires. On préfère ériger des bâtisses de béton froides et grises, qui ont l’avantage de disposer des dernières innovations. Propre, oui, mais à quel prix ?
Ainsi, si nous devions donner une conclusion : oui, le Japon est l’un des pays les plus propres au monde. Il est assurément bien plus sain et rangé que nos villes européennes. Cependant, il existe de nombreux lieux au Japon où les déchets sont amassés de façon peu flatteuse. Toutefois, les Japonais sont poussés par des convictions idéologiques, une éducation et des normes communautaires vers une « culture du propre » où chacun joue son rôle pour le bien commun. L’espace public s’en retrouve assaini.